Christine Salem • Tapaz
Je m’appelle Marianne, et je vais vous parler de course à pied, de médecine et de mouvement.
Devant moi, un groupe de trois coureurs sculptés est engagé dans une course effrénée et essoufflante dont l’enjeu se lit sur leur visage déterminé. Cette course est celle de trois hommes figés dans le plâtre par Paul Richer à la fin du XIXe siècle. Ils sont à bout de souffle mais heureusement la victoire se profile, prête à être saisie de leurs bras tendus et de leurs corps projetés vers l’avant. Leurs corps d’athlète sont dévoilés par leur nudité et sublimés par le mouvement de la course qu’ils décomposent à eux trois. Chacun incarne un stade différent, je reconnais l’impulsion, la phase de suspension et l’appui.
Cette description scientifique des corps et cette analyse du mouvement nous la devons au médecin qu’est d’abord Paul Richer, l’art qu’il crée est au service de ses recherches sur l’anatomie. Matière qu’il enseigne d’ailleurs à l’École des Beaux-Arts de Paris. Dans les années 1890, il entreprend un travail sur les exercices physiques dont le groupe de trois coureurs est une traduction plastique. Il cherche à établir un type, une norme morphologique. Pour cela, il compare le corps humain des athlètes qu’il jugeait comme idéal aux corps altérés par la maladie et la vieillesse.
Cette sévère opposition est à remettre dans le contexte de son époque, surtout qu’aujourd’hui il s’agit plutôt de dépasser cette quête d’un canon idéal.
Pour étudier l’activité du corps humain en mouvement, Richer s’aide d’une innovation récente : la chronophotographie, un procédé qui décompose les différentes phases du mouvement par des prises photographiques instantanées à intervalle régulier.
Mais alors, si la photographie se fait déjà l’image de cette mécanique, d’où vient sa volonté de traduire le résultat dans le plâtre ? J’aime penser qu’elle témoigne de l’activité artistique de Richer, il n’y a qu’à voir la maîtrise dont il fait preuve dans l’état de suspension du coureur central. Simplement maintenu par le drapé qui le lie à son concurrent. En mêlant art et science, le groupe offre un bel exemple des relations que les deux disciplines entretiennent. La science sert la justesse de la représentation tandis que l’art la sublime.
Cette démonstration du mouvement éveille mon âme de coureuse et me renvoie aux recherches que je mène sur la biomécanique en vue d’améliorer mes performances. C’est la science qui consiste à comprendre les causes et les effets d’un mouvement afin de l’adapter et d’en améliorer les résultats. Étude indispensable pour nos athlètes olympiques.
Groupe de trois coureurs, Paul Richer, fin du XIXe siècle, Plâtre, 51 x 75 x 29 cm, Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts.
Texte et voix : Marianne Feix
Enregistrement : Margot Page
Montage : Jean Foucaud-Jarno
Musique & web : Philipp Fischer
Coordination : Julia Martin & Grégoire Verprat
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