La chronique de Zoé : Gribouille, la Piaf lesbienn...
La chronique de Zoé : Gribouille, la Piaf lesbienne

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Magazine
Société
mardi 8 novembre 2022
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Ce soir, Zoé nous présente Gribouille, chanteuse lesbienne des années 1960...

J’ai envie de vous présenter quelqu’un et de convoquer sa voix. Pas de disque du lobby en vue mais peut-être un vieux 45 tours. Allez, ouvrez vos cœurs et vos oreilles on retourne 60 ans en arrière.

Son nom ne vous dit sûrement rien. Gribouille. Pseudonyme de Marie-France Gaité, née le 17 juillet 1941.

Dans cette vidéo de 1964 qui sert de clip à sa chanson « Le marin et la rose », Gribouille rejoue une scène de sa vie.

Nous sommes alors en 1960 et Gribouille a 19 ans. On ne sait pas trop comment, mais elle vit seule à Paris. Elle a débarqué à 16 ans de Lyon, laissant derrière elle son enfance douloureuse faite d’errance de foyers en foyers. Elle dessine sur les trottoirs, elle « gribouille » pour se faire un peu d’argent, mais ce qu’elle veut, c’est chanter.

« Elle est pleine de musique »

Un jour, un vieux monsieur s’arrête. Hasard ou destin, ce promeneur c’est le dramaturge, poète et cinéaste homosexuel de renom Jean Cocteau, mais ça Gribouille elle le sait pas. Il s’arrête car quelque chose l’interpelle et le bouleverse chez elle. Elle a la voix grave, porte les cheveux courts, des vêtements amples. Au début, il ne sait pas si c’est une fille ou un garçon, mais il y a une chose dont il est sûr : « elle est pleine de musique »

Pris sous l’aile de ce mentor bienfaiteur, sa carrière de chanteuse se lance. Dans des cabarets d’abord, puis au studio où elle enregistre des 45 tours à la pelle. Elle a une intensité et un magnétisme scénique comme il en existe rarement, une voix profonde d’une sensibilité à fleur de peau. On la compare à Barbara et à Piaf, mais Gribouille n’a pas besoin d’aller chercher très loin son public.

Gribouille aimait les femmes...

...On sait peu de chose sur elle, mais ça on le sait. D’ailleurs ça transparaît en filigrane dans toutes ses chansons. Sa contemporaine la romancière lesbienne Françoise Mallet-Jorris disait d’elle qu’elle était « le désespoir sous la forme la plus séduisante qui chante avec des coups de gueule et d’inattendus mouvements de tendresse qui l’étonnaient elle-même. » Dans « Ostende » elle chante le souvenir d’un amour, dans « On n’a pas le droit » le tabou de son identité, dans « Dieu Alice » le rejet et la solitude. Je ne peux pas toutes vous les faire écouter mais je vous encourage à le faire.

Car il nous reste peu de choses de Gribouille. Grande dépressive, elle est décédée le 18 janvier 1968, à 26 ans d’un excès d’alcool et de médicaments. Suicide, overdose accidentelle, personne ne pourra le dire. Elle fait partie de ces femmes aimant les femmes oubliées dans l’histoire des arts institutionnelles. À nous de faire vivre cette mémoire riche et plurielle, pour la sauver de l’abîme qui la guette.

Chronique : Zoé Neboit