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Marceline Desbordes-Valmore était-elle maudite ? C'est du moins ce qu'en a pensé Verlaine, qui l'a élevée au rang de ses « poètes maudits », au même titre qu'Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé.
Maudite, sa vie le fut. Marceline Desbordes-Valmore reçut même le surnom de « Notre-Dame des pleurs », tant son destin fit couler ses larmes et celle de ses lecteurs et lectrices. « Les Pleurs », c'est d'ailleurs le nom de l'un de ses recueils de poésie.
Marceline Desbordes-Valmore, née en 1786 à Douai, a cumulé les épisodes douloureux et mouvementés. Un père ruiné, une mère qu'elle suit jusqu'en Guadeloupe et qui décède de la fièvre jaune dès leur arrivée, le retour à Douai, la vie de comédienne, une première liaison au-dessus de sa condition, deux enfants morts en bas âge et deux autres qui la quitteront plus tard, un amant dont elle fut éprise des années durant, mais qu'elle dut quitter pour suivre son mari à travers la France….
Mais il faut retenir autre chose que ce destin. Ce qu'il faut retenir, c'est comment Marceline Desbordes-Valmore l'a transcendé par la poésie.
Marceline Desbordes-Valmore s'est mise à la poésie pour faire chanter son âme sur le papier, puisqu'elle n'arrivait plus à chanter avec sa voix. Elle explique y avoir renoncé parce que sa voix la faisait pleurer elle-même. Marceline Desbordes-Valmore écrit alors pour se délivrer de son « frappement fiévreux », comme elle le décrit.
Et ce frappement touche en plein cœur ses contemporains, comme Baudelaire et Sainte-Beuve, impressionnés par l'originalité de son lyrisme et par sa pratique autodidacte. Car si Marceline Desbordes-Valmore a déclamé du Racine sur scène, elle n'a pas bénéficié d'une éducation au même titre que certains de ses pairs poètes. Elle délaisse alors parfois l'alexandrin, innove en inventant le vers impair de 11 pieds. Un style que Verlaine imitera.
Certains renvoient tout de même Marceline Desbordes-Valmore à son sexe, parfois de manière dédaigneuse ou bien d'autres fois, comme pour s'excuser d'apprécier le lyrisme de ses vers abordant des sujets considérés comme féminins, alors qu'ils sont en réalité universels. Marceline Desbordes-Valmore parle beaucoup de l'amour, du manque, de l'abandon.
Libre dans son style et dans ses sujets, intimes le plus souvent, politiques aussi parfois lorsqu'elle évoque la révolte des canuts à Lyon, Marceline Desbordes-Valmore devient quoi qu'il en soit une figure précurseuse du romantisme. Elle use de sa liberté pour inventer à sa façon une manière d'être poétesse. Qui sait révéler la musicalité des sentiments.
Écoutons justement l'un de ses poèmes, où le rythme emporte la lecture. Il s'agit de son poème « La danse de nuit », où pour une fois elle décrit une scène joyeuse, où la fête doit l'emporter sur tout, faire valser les corps et les cœurs.
EXTRAIT
Ah, la danse ! La danse Qui fait battre le cœur, C'est la vie en cadence Enlacée au bonheur.
Accourez, le temps vole, Saluez s'il-vous-plaît, L'orchestre a la parole Et le bal est complet.
Sous la lune étoilée Quand brunissent les bois Chaque fête étoilée Jette lumière et voix.
Les fleurs plus embaumées Rêvent qu'il fait soleil Et nous, plus animées Nous n'avons pas sommeil.
Flamme et musique en tête Enfants ouvrez les yeux Et frappez à la fête Vos petits pieds joyeux.
Ne renvoyez personne ! Tout passant dansera Et bouquets ou couronne Tout danseur choisira.
Sous la nuit et ses voiles Que nous illuminons Comme un cercle d'étoiles, Tournons en chœur, tournons.
Ah, la danse ! La danse Qui fait battre le cœur, C'est la vie en cadence Enlacée au bonheur.
En découvrant les vers de Marceline Desbordes-Valmore, on a l'impression que ses poèmes sont déjà des chansons. Des musiciens ont d'ailleurs reconnu ce talent très tôt. Que ce soit le compositeur Camille Saint-Saëns, qui a imaginé dès l'âge de 7 ans une ballade au piano sur l'un de ses poèmes.
Plus proche de nous, la poésie de Marceline Desbordes-Valmore est même rentrée dans la pop-culture sans qu'on y prenne garde, grâce à Julien Clerc, Pascal Obispo ou Benjamin Biolay. À vous de voir si vous souhaitez vous empresser d'aller découvrir ces adaptations… ou si vous préférez plutôt revenir aux textes originaux.
Les références : – « Relire Marceline Desbordes-Valmore », épisode de l'émission La Compagnie des poètes, sur France Culture, du 08/11/2019 – Site de la Société des études Marceline Desbordes-Valmore
Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Marceline Desbordes-Valmore par Nadar (Wikimedia Commons)
Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Danse II » de Philip Glass