Le petit déj' à l'heure de l'apéro • La Matinale de 19h
19:00
19:59
Il y a un mois, le dicastère, un organisme qui permet au Pape d’exercer son pouvoir, a publié la déclaration “Fiducia Supplicans". Ce texteouvre la possibilité pour les prêtres ou diacres de bénir les couples homosexuels ou divorcés-remariés. En décembre, le pape François s’est même dit favorable aux unions des couples de même genre.
Le Pape François, on le sait, se montre plus progressiste que ses prédecesseurs, notamment sur la question de l'homosexualité. Et c'est bien pour cela qu'il ne fait pas l'unanimité. Ses déclarations ont suscité la fronde de plusieurs épiscopats, notamment en Afrique.
Y a-t-il il une crise dans l’église catholique, que les questions LGBT auraient fait émerger ?
Pour en parler, nous recevons Cyrille de Compiègne, président et porte-parole de David et Jonathan, une association queer chrétienne fondée en 1972, qui se définit comme l’interface entre le milieu LGBT+, les Églises et espaces de spiritualité, et l’engagement associatif et militant.
Le Lobby : Selon de nombreux catholiques, le fait que l'homosexualité est un péché ne respecte pas l'Evangile puisque l’Evangile promeut une sorte d’amour universel. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Cyrille de Compiègne : Effectivement, on pourrait voir un paradoxe dans le fait qu'il y a une condamnation morale de l'homosexualité. Là où l'Église catholique essaye de s'en sortir, c'est qu'elle dit non, non, moi je ne condamne pas les personnes, je condamne les actes homosexuels et donc essaye de faire une distinction qui à notre sens ne tient pas la route. Il y a même un passage qui dit que ces personnes doivent être traitées sans discrimination, avec délicatesse, etc. Il y a une négation de la violence qui est portée par ce discours là. D'où l'importance de systématiquement rappeler que ce discours est agressif et violent. Il faut que la doctrine morale en matière de sexualité change dans l'Église catholique. Mais disons qu'elle ne se voulait pas au départ offensive pour les personnes. On n'est plus sur une norme qui est extrêmement rigide et qui du coup ne tient absolument pas compte de certaines réalités de vies. En tout cas, n'est pas capable d'en tenir compte.
Comment a réagi la communauté LGBT catholique à la déclaration “Fiducia supplicans” ?
Ce discours de condamnation morale de l'homosexualité a été posé par des textes qui sont des textes du Magistère, qui sont issus directement du Vatican et qui ont été très renforcés de manière récente sur les pontificat de Jean-Paul II et Benoît XVI, qui ont donc en fait instauré ce que l'on connaît du conservatisme catholique sur le sujet. Il y avait déjà des pressions pour qu'il y ait des évolutions sur la question de l'homosexualité qui, du coup ont été complètement refermées. Du coup, comparativement, quand le pape François est arrivé et qu'il a notamment dit la petite phrase “Qui suis-je pour juger ?” Il a soulevé un vent d'espoir très important.
Sa démarche à lui, ça a été de dire “je ne vais pas attaquer de manière frontale la doctrine parce que c'est très compliqué à faire évoluer”. C'est tellement entériné et ça suscite tellement de crispations que ce n'est pas possible. Enfin, dans l'idée de sa démarche, c'est pas possible d'aller directement vers le changement officiel du texte moral. Sa démarche plutôt jésuite, parce que c'est un jésuite, ça a été de rencontrer les personnes et donc c'est vrai qu'il a rencontré des personnes LGBT, il a essayé de se mettre à l'écoute et il a dit il faut qu'on accueille de manière plus affirmée les personnes dans nos églises.
Ça a à la fois induit de vraies évolutions, en tout cas dans les églises occidentales. Le problème étant que du coup, ça creuse un peu un écart entre un discours qui continue de condamner et une posture qui se veut une posture d'accueil. Sachant que l'exigence d'accueil dans les églises chrétiennes, c'est quand même important, ce qui suscite quand même aussi beaucoup de malaise en local parfois.
Et je pense qu’il y a pu avoir un espoir, un enthousiasme qui s'est affadi avec le temps, au sens où en fait il a dit une chose et son contraire. Et puis on ne savait plus trop où il allait, voire on avait l'impression qu'il y avait beaucoup de contradictions dans le discours, etc. Et la réaction c'est … que de complexité pour dire pas grand chose. Voilà, au sens où on est obligés de prendre beaucoup de pincettes et de passer par tout un tas de formules et de tournures et et d'y aller très prudemment pour faire accepter quelque chose qui en fait est une avancée relative, puisque certes il y a la possibilité de bénir des couples, mais alors déjà ce qu'il faut savoir, c'est que ça ne se faisait déjà. En fait, c'est juste que ça se faisait sans se dire. En contexte français plutôt de manière exceptionnelle. C'était parce qu'on connaissait un prêtre ou parce qu'il y avait certaines traditions d'ouverture dans certaines paroisses.
Mais malgré tout il y avait déjà des personnes qui s'étaient autorisées à le faire. C'est aussi une réponse à ça. Et puis c'est une bénédiction. Mais alors le texte rappelle quand même beaucoup que attention, pas de confusion avec le mariage, met beaucoup de nuances. Il ne faut pas être un habits de mariage.
C'est aussi assez violent pour les personnes de se voir rappeler quand même que non non, il y a une vraie différence et que vous n'avez pas accès à ce à quoi ont accès les hétéros. Alors que l'aspiration, et notamment encore plus depuis qu'il y a le mariage civil qui est possible, c'est quand même d'avoir une forme de célébration religieuse qui accompagne le mariage civil. Donc je pense qu'il y a à la fois un signal positif qui a été envoyé et en ce sens, cela a été bien reçu par des personnes qui savent d’où on part, et en même temps cette frustration, voire un ressenti de violence très fort de ce rappel que bah non, vous êtes dans le péché et vous ne serez en tout cas pas du tout à égalité avec les couples hétérosexuels.
La prêtrise et les ordres religieux ont été une voie privilégiée pour des hommes qui du coup étaient pas forcément à l'aise avec leur sexualité ou savaient qu'ils ne pouvaient pas accéder au mariage hétérosexuel étant donné qu'ils étaient homosexuels
Est ce que justement le fait qu'il y ait tout ce discours assez complexe, tu penses que ça révèle un malaise de la part de l'Église catholique vis à vis des homosexuels?
Vaste sujet. En fait, il y a un problème de l'Église autour de la sexualité. En gros, ce qu'on dit, c'est que l'Église catholique a notamment d'autant plus chercher à normer la sexualité depuis le XIXᵉ siècle qu'elle a perdu du pouvoir dans la sphère publique et sociale. Et du coup, elle s'est beaucoup concentrée sur la sphère privée, avec du coup une espèce d'obsession de la sexualité qui n'a pas cessé de monter et qui s'est vraiment accentuée même après, dans les années 60-70, 80, 90. Ce sont des choses assez récentes en fait. Il y a eu une construction de la théologie morale, de la famille, de la sexualité et du couple qui était très normative L'idée c'est qu’il y a un plan de Dieu pour les êtres humains. Il est fondé en nature, il y a une nature de l’homme et une nature de la femme qui peuvent avoir une sexualité ensemble, mais avec une visée procréative, d'ouverture à la vie. Donc un couplé hétérosexuel avec des enfants dans le cadre du mariage, de manière fidèle, etc. Et ça c'est très strict.
Le problème c'est que ça a été posé et défini de manière tellement stricte que c'est devenu quasiment impossible à faire évoluer. Et ce qu'il faut savoir aussi, c'est que quand ça a été défini, il y a eu des théologies féministes dans les années 60, il y a eu des tentatives d'autre chose, mais qui ont été complètement étouffées. Il n'y a pas non plus, à l'heure actuelle, des moyens institutionnels ou une liberté de parole dans l'Église catholique pour faire émerger autre chose. Ce qui fait que dès qu'on essaye de dire qu'on va changer la doctrine, la morale sexuelle, et bien c'est perçu comme une menace. Ça y est, on veut tout déconstruire, tout va s'effondrer et ce serait la grande perte de civilisation si je caricature. Le fait qu'il n’y ait pas non plus une parole alternative, ça renforce aussi cette angoisse d'un certain contexte catholique qui en fait voit tout de suite ça comme une menace si on cherche à faire évoluer les choses.
Il y a un autre point aussi qui est assez important qui est un secret de polichinelle, le clergé est très gay. La prêtrise et les ordres religieux ont été une voie privilégiée pour des hommes qui du coup étaient pas forcément à l'aise avec leur sexualité ou savaient qu'ils ne pouvaient pas accéder au mariage hétérosexuel étant donné qu'ils étaient homosexuels. Et il y a énormément de prêtres gay, à priori systématiquement plus de la moitié des prêtres qui sont gays si c'est pas beaucoup plus. Et le problème c'est que il y en a beaucoup qui sont au placard, qui n’est pas serein. Ils peuvent être en difficulté par rapport à ça, voire avoir des doubles vies. Et c'est vrai que ça n'aide sans doute pas en fait à ce qu'il puisse y avoir une évolution de l'Église catholique au sens où ça renforce la crispation parce que les personnes qui ont autorité sont elles mêmes prises dans un rapport qui n'est pas très sain finalement, en fait, souvent à leur propre sexualité.
Est ce que tu dirais que ça aussi à voir avec une sorte de culpabilité judéo-chrétienne et qui s'applique pour la sexualité en général, mais aussi en particulier pour l'homosexualité?
Effectivement, on peut avoir cette vision que l'Église catholique a entretenu un rapport assez culpabilisé à sa sexualité. En fait, quand je disais qu'il y avait une évolution de la morale sexuelle dans les années 70-80, en fait, le pape Jean-Paul II, ce qu'il a essayé de faire, c'est justement sortir un peu de cette vision. La sexualité, c'est mal et du coup, ce qu'il a dit, c'est que dans la sexualité, ça peut être cool, mais dans un cadre très précis qui est le cadre de la famille hétérosexuelle, bien normative, avec des différences très nettes entre les hommes et les femmes. Mais là où il y avait quelque chose de positif dans son idée, c'était quand même de dire que l'amour peut être beau. Et donc en ce sens là, il y avait quand même une vraie évolution.
Le problème, c'est que ça exclut beaucoup de types de relations. On parle beaucoup de l'homosexualité et clairement il y a une crispation dès qu'on dit le mot homosexualité, c'est tout de suite un point de tension et de clivage, même entre progressistes, conservateurs, etc. Mais en fait, il y a plein de situations de couples qui ne sont pas ou de relations qui ne sont pas prises en compte. Dans la morale sexuelle catholique, il y a les personnes divorcées remariées, il y a les personnes qui sont en relation sans être mariés. J'ai parlé tout à l'heure avec un prêtre qui est au Gabon. En Afrique, il peut y avoir des personnes qui sont en situation de polygamie qui peuvent aussi être concernées par la situation irrégulière.
D'ailleurs, on voit que dans cette déclaration, les couples homosexuels sont dans le même panier que les couples irréguliers...
Oui voilà. En fait,la déclaration a essayé de pas se focaliser sur l'homosexualité en disant tous les couples irréguliers. Le problème, c'est que on a retenu homosexualité, et les trois quarts du texte parle beaucoup d'homosexualité, donc l'opération est un peu ratée. Mais il y a eu tentative de se décentrer de l'homosexualité. Mais c'est vrai qu'il y a une violence particulière sur l'homosexualité, ce qui souligne aussi une certaine hypocrisie au sens où c'est aujourd'hui très accepté d'être en couple, y compris en ayant des relations sexuelles sans être marié et clairement c'est pas condamné de la même façon que d'être homosexuel, alors que sur le plan doctrinal c'est au même niveau.
Tout à l'heure, tu disais qu'il y avait des initiatives locales, même avant cette déclaration, de prêtres qui pouvaient bénir des couples homosexuels. Est ce que justement ça dépend des prêtres, de leur approche, peut être même de leur formation? Quelle liberté pour les prêtres au sein de leur paroisse?
Un prêtre a assez peu de libertés. Il en a mais il n’en a pas. La personne qui a le plus d'autorité dans l'Église catholique, c'est l'évêque qui est responsable dans son diocèse, mais responsable de tout. Il est à la fois responsable hiérarchique et responsable spirituel, il mélange un peu tout. Dans l'Église catholique, vous avez les paroisses qui sont le niveau le plus local. Il y a les paroisses regroupées en diocèse qui sont un peu comme des départements. L'évêque est assez souverain pour le coup dans son diocèse.
Après, vous avez des coordinations des évêques, généralement par pays. C'est ça qu'on désigne par les épiscopats ou les conférences épiscopales. On parle de la conférence des évêques de France en France, par exemple. Les évêques essaient de se mettre d'accord par une parole commune, en l'occurrence ils n’y arrivent pas trop. Vous pouvez avoir des rassemblements d'évêques et de cardinaux qui sont des espèces de super évêques qui vont se réunir à Rome et qui vont être constitués comme une sorte d'assemblée qui a autorité dans l'Église catholique.
En fait, on a l'impression que l’Eglise catholique est très pyramidale ou verticale. C'est vrai en partie. Mais le pape n'est pas non plus souverain absolu. Il doit négocier avec les évêques. Et d'ailleurs là, on a très bien vu qu'il y a des évêques qui ont pris la liberté de dire non, je suis pas d'accord. Le prêtre, il ne peut pas trop se permettre de se mettre à dos son évêque. Des prêtres nous disent qu’ils sont très prudents sur le sujet parce qu'ils ne veulent pas se mettre en porte à faux par rapport à leur évêque, par exemple. Et on sait que même entre eux, c'est compliqué d'en parler parce qu'ils ont peur après que ça leur retombe dessus. Après en local, le prêtre est quand même dans sa paroisse etc. Il peut se permettre un certain nombre de choses et la parole du prêtre a une importance forte parce que l'église catholique est très cléricale et le prêtre a autorité et les laïcs, généralement obéissent encore beaucoup aux prêtres. Donc ça compte.
Mais c'est plus facile pour un prêtre qui va être d'accord avec la position officielle que pour un prêtre qui le sera pas, qui du coup pourra jouer sur des marges de manœuvre mais qui seront quand même limités. Sachant que l'Église catholique est la maîtresse absolue de savoir gérer ses marges. C'est à dire qu'en fait il y a l'officiel en façade qu'on va maintenir absolument, mais en fait il y a une énorme diversité interne qu'on ne dit pas mais qu'on va maintenir parce qu'on sait qu'elle est nécessaire pour le fonctionnement de l'Église et pour que les catholiques restent dans l'Église. Donc en fait, il y a toujours cette espèce de double jeu de on maintient la façade absolument, avec quand même beaucoup plus de diversité derrière qu'on ne le dit souvent.
Tu as dit en interview que c'était une démarche “pastorale et pas doctrinale”. Est-ce que dans l'essence même de ce qu'est l'Eglise, un changement doctrinal dans cette institution qui est profondément traditionnelle et hétérosexuelle est possible ?
Alors quand on parle de “pastoral”, en gros, ça désigne l'action de terrain. Dans les paroisses, c'est toutes les activités qui vont être des propositions spirituelles pour les catholiques. On pense à “pasteur”, donc l'idée de l'accompagnement spirituel sur le terrain du quotidien. Donc c'est plutôt disons, ça désigne la pratique de terrain par rapport à la doctrine qui du coup est plutôt le versant texte officiel et parole officielle. L'idée du pape François, c'était on va rencontrer les personnes, mais sans rien du tout changer au discours officiel.
Et du coup, c'est bien, mais ça ne suffit pas. Là on arrive un peu à la limite de ça. On pouvait le comprendre parce que c'est plus facile de dire “allez rencontrer les gens” que de dire “je change tout le discours officiel”. La doctrine morale a été très verrouillée par l'institution et à l'heure actuelle, il n'est pas possible que ça change parce qu'il n'y a pas de propositions, il n'y a pas de dialogue, de réflexion intellectuelle. Déjà pour construire autre chose, il n'y a pas de dialogue avec les personnes concernées pour produire autre chose. Et il y a un enjeu aussi pour l'Église catholique elle est une institution universelle, mondiale, elle doit composer avec des réalités locales et géographiques, culturelles qui sont très diverses et qu'il y a une crispation autour des questions de genres et de sexualités.
Dans beaucoup de pays, c'est devenu un enjeu de positionnement, de nationalisme sensationnel dans le sens où ça dépasse largement la réalité concrète des personnes. Mais sauf que malheureusement, ça s'est installé comme ça. C'est aussi très compliqué à faire bouger parce que par exemple, c’est ce que les évêques africains disent “Ah mais en fait là, vous nous faites de l'importation occidentale de réalités qui ne nous concernent pas”. Il y a cette complexité là aussi, je dirais, qui ne facilite pas les choses.
Est ce que la solution, ce serait un dialogue déjà local pour commencer, et ensuite une réelle volonté de la part des institutions d'entamer ce dialogue autour des questions de genres et des sexualités.
Alors, le dialogue sur le terrain, en fait, il est déjà là. Ça, c’est vraiment ce qui a avancé, en tout cas en Europe. Aujourd'hui, dans beaucoup de diocèses, vous avez des instances, des groupes d'échange, qui sont beaucoup portés par des laïcs et beaucoup de proches. Des parents concernés. Les parents ont presque la posture la plus facile parce que du coup ils voient le vécu de leur enfant et ils viennent et ils sont en responsabilité dans l'église catholique et du coup ils viennent interpeller.
C'est beaucoup plus difficile pour l'église catholique de dire “je n'écoute pas les parents” bons cathos bien hétérosexuels, qui ont une responsabilité dans l’Eglise. Ca vient aussi appuyer notre parole, la parole des personnes concernées pour interpeller les catholiques. Mais il y a une violence réelle. Le problème c'est qu'il n'arrive pas à se traduire autrement que dans l'échange local. Du coup, il y a des choses très positives qui existent dans certains endroits, dans certaines paroisses, dans certains échanges. Donc c'est un cadre d'échange, mais ça reste localisé et ça reste précaire. C'est à dire que vous savez pas quand vous allez toquer dans une paroisse, quel sera le discours, quelle sera la position et du coup vous pouvez pas être serein dans l'Eglise catholique sur le fait d'en parler, sur comment vous allez être reçu, est ce que vous allez pouvoir être intégré dans votre paroisse? Est ce que vous allez pouvoir accéder aux sacrements? Si c’est ce que vous souhaitez. Même s'il y a des choses très positives, ça crée aussi une vraie précarité pour les personnes concernées.
Tout à l'heure tu parlais des prêtres africains. Le pape, en tant que représentant de l'Eglise, doit forcément concilier avec les diverses communautés chrétiennes internationales. On sait que notamment la Fiducia Supplicans a fait beaucoup réagir en Afrique, mais aussi au Brésil ou en Pologne, et pas spécialement de manière enjouée. Même s' il y a eu un discours assez progressiste, c'est pas non plus “woke”. Dès lors, comment faire avancer la doctrine sexuelle avec la communauté internationale? Est ce que c'est possible selon toi ?
Je pense que c'est important pour nous, en tant que personnes européennes de ne pas rester trop centré.e.s sur notre regard et notre vision ou expérience à nous. Il faut aussi vraiment aller se mettre à l'écoute de prêtres ou de personnes qui viennent de pays africains et qui du coup peuvent faire le pont avec les réalités locales. Et c'est pas non plus complètement faux de dire qu'il y a une forme, parfois un peu de position d'impérialisme occidental, d'arriver avec notre prisme de lecture et de ne pas être en capacité de se mettre à l'écoute des réalités culturelles locales. Ceci étant dit, nous en tout cas, on a vraiment salué la démarche du pape François, de quand même bien rappeler qu'il n'était pas question de justifier la condamnation pénale de l'homosexualité, ce que certaines conférences épiscopales africaines font. Et ça, je pense que ça doit vraiment être redit et répété.
Le premier stade d'avancée, c'est déjà d'arrêter que l'Église catholique puisse se mettre au service de condamnation sur un plan pénal, civil et de violences qui peuvent aller même parfois jusqu'à la condamnation à la prison, la condamnation à mort, etc. Et puis il faudra trouver les cadres d'échange et de dialogue possibles. Mais je pense aussi sans doute, il faudra que les pays concernés puissent aussi développer leur propre manière de voir les choses et du coup puissent manifester des évolutions, mais à partir de leur bagage culturel à eux comme la réalité de leur pays, leurs langages, leur discours à eux et que du coup il puisse y avoir une parole, ce qui est un vrai challenge qui émerge depuis le local. Voilà que ce ne soit pas que les occidentaux qui en parlent. C'est vraiment dommage aussi que ce soit perçu comme un clivage géographique. C'est pas un clivage géographique, il y a des personnes concernées là bas, il y a une vraie diversité en fait aussi, quel que soit le pays ou le continent dont on parle. Pour l'association David et Jonathan, ce serait quoi une Eglise idéale pour les queer catholiques ?
Cyrille de Compiègne : Bonne question. Alors déjà, une église idéale, c'est une Eglise où il n'y a pas de discrimination. Et on n'y est pas. Donc déjà une Eglise où tout le monde peut avoir accès aux sacrements sans risque de rejet. A priori, y a pas trop de refus de baptême, mais il y a quand même des personnes qui sont pas sûres de pouvoir parler de leur homosexualité dans le cadre de préparation au baptême par exemple. Une église, c'est aussi un accompagnement spirituel et une proposition rituelle tout au long de la vie. Donc déjà que tout le monde puisse avoir accès à ça sans discrimination, sans peurs et sans appréhension. Y compris dans l'accompagnement spirituel au quotidien, etc. Que les personnes puissent être pleinement intégrées dans leur paroisse sans qu’il y ait de questions. Par exemple, je suis une personne homosexuelle, oui je peux donner la communion à la messe. C'est des exemples très concrets, mais c'est ça aussi la réalité de terrain.
C'est une église qui fait bouger sa morale sexuelle et qui trouve des outils de philosophie et de théologie morale différents que cette fameuse théologie de la loi naturelle qui bloque tout. Donc d'avoir une théologie morale non normative et qui puisse inscrire sa loi morale vraiment dans le message du Christ qui est un message d'amour.
Et puis c'est aussi une Eglise qui a des propositions, qui vient répondre au vécu et aux expériences des personnes LGBTQIA+. Il y a des personnes qui font des propositions, par exemple de lectures de textes bibliques, en mettant en avant des personnages queer, des personnages marginalisés ou des es textes qui viennent répondre à des préoccupations de vie des personnes. Et en fait, il faut aussi pouvoir venir répondre aux préoccupations des personnes LGBTQIA+ en mettant en avant certaines figures, en abordant ces sujets là dans les temps de prière, et aussi même dans la manière de parler, avoir un langage qui soit inclusif. Voilà manifester qu'il y a une diversité sexuelle et de genre dans la liturgie. Voilà en fait glisser dans tout ce qui constitue en fait la spiritualité. Vraiment une pleine inclusivité au sens où on considère toutes les réalités de vies de toutes les personnes, mais sur tous les sujets en fait. On essaie de lutter contre des formes de normativité, qu'elles soient de genre ou de sexualité. Ce qui passerait aussi dans l'église catholique par peut être faire en sorte qu'il n’y ait pas que des hommes prêtres et qu'il y ait une diversité de situations. Et d'ailleurs qu’il y ait aussi peut être moins de cléricalisme et une participation plus forte des laïcs, plus d'égalité. Il y plein de pistes pour avoir une église plus inclusive.
Pour finir, je voulais parler un peu plus de l'association David et Jonathan. Est ce que tu peux nous présenter cette association qui existe depuis 1972 ?
On est une vieille association. Élément important: on est en changement de nom. Donc “David et Jonathan” va s'appeler “DJ Arc en ciel” et vous la retrouverez bientôt avec un nouveau site internet qui va arriver sous ce nom là. On est vraiment d'abord une association de personnes concernées, même si on peut avoir des personnes proches ou alliées, donc des personnes LGBT+. La majorité peut se dire chrétiennes mais qui peuvent aussi être en recherche spirituelle, agnostique, athée, avec tous les rapports possibles à la religion et à la spiritualité mais qui s'interroge là dessus et qui souhaite rencontrer d'autres personnes et échanger là dessus. La base c'est d'abord le partage et la rencontre.
On a des groupes locaux. On a une vingtaine de groupes locaux un peu partout en France, plus des weekend nationaux qui permettent aux gens de venir d'un peu partout. On a la dimension de partage et on a des propositions spirituelles. Il y a des temps de prière.
Et on a notre engagement militant. C'est notre marque de fabrique, parce que on veut vraiment s'inscrire pleinement dans le monde associatif LGBTQIA+, on participe aux Marches des fiertés. Il y a dans certaines villes, on organise un temps de célébration spirituelle, les veilles de Marche des fiertés par exemple. Mais c'est vraiment important de participer. On est présents auprès des autres associations. On a milité pour le mariage pour tous, on a milité pour la PMA. On essaye vraiment de militer politiquement et avec cette spécificité qui est qu'on essaye de lutter contre les LGBTphobies notamment dans les églises chrétiennes.
Comment vous rejoindre?
La porte d'entrée, ça reste le groupe local s'il y en a un à proximité. Identifiez le groupe local le plus proche. Si on ne trouve pas la réponse, on peut envoyer un mail à l'adresse contact en précisant l'endroit géographique où vous êtes. Et l'idée, c'est que le groupe local recontacte la personne qui est intéressée. On essaie vraiment d'organiser un temps d'accueil dédié pour les personnes qui souhaitent nous rejoindre, ce qui permettra après d'avoir accès aux informations, de propositions, d'événements, aux activités organisées par l'association qui peuvent varier aussi en fonction des groupes locaux.
Présentation : Zoé Monrozier
Réalisation : Colin Gruel