Lecture vespérale • Le Rat de Radio
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Dans La Chasse, Max, 17 ans, fait la rencontre d'Ellie et de Cosme, deux personnages qui marqueront sa vie amicale, sexuelle et romantique.
C’est un récit queer estival qui raconte les temps d'adolescence où le désir, l'amitié et l'amour se mêlent, au creux d'un personnage qui explore le besoin de trouver sa place. L'ouvrage permet d'ouvrir tout un imaginaire autour de l'écriture des sexualités queer à destination du public jeune adulte.
Avec Maureen Desmailles, l'autrice de ce livre qui se trouve être aussi une ancienne chroniqueuse de Radio Campus Paris, on revient sur le rôle de la littérature young adult, la découverte de la queerness, la difficulté à écrire la sexualité et la censure que parfois cette écriture subit.
Pourquoi avoir choisi d'écrire pour les adolescents ?
Ça vient d'abord de ma propre pratique de lectrice. J'ai été très marquée, quand j'étais plus jeune, par les lectures que j'ai pu faire à l'adolescence, qui ont vraiment façonné la lectrice adulte que je suis aujourd'hui. Alors j'avais envie d'explorer cette littérature. C'était un peu une façon de lui rendre la pareille. Et puis il y a quelques années, j'ai découvert Queen Kong, d'Hélène Vignal (ed. Thierry Magnier, coll. L'Ardeur). C'est un livre que j'ai adoré et que j'ai vraiment trouvé spectaculaire, aussi bien stylistiquement que dans le discours qu'il pouvait tenir. Et quand j'ai lu ce truc, je me suis dit : moi aussi je veux écrire pour ces gens.
En avant propos de ton roman à toi, tu décides de t'adresser au lectorat et de lui proposer de se positionner ou non sur la question du genre du personnage de Max. Qu'est ce que tu voulais créer ?
Pour moi, la lecture d'un roman, c'est une collaboration entre la personne qui a écrit le bouquin et la personne qui va le lire. Et du coup, il y a toujours une part d'appropriation par la personne qui lit. C'est un truc qui est assez théorisé dans les études de réception. À part dans les "livres dont vous êtes le héros" (et jamais l'héroïne d'ailleurs), les lecteurs et lectrices ont assez rarement l'occasion de prendre vraiment un peu le "pouvoir", sur leur lecture du livre. Donc ça m'intéressait en fait, en enlevant cette donnée du personnage de Max, de leur dire : c'est à vous de faire du personnage ce que vous voulez. En fait, vous en faites un garçon ou une fille, vous en faites ni l'un ni l'autre, vous faites ce que vous voulez, mais ça vous appartient. En fait, moi, ce n'est pas une décision que j'ai prise en tant que en tant que telle. C'était une façon pour moi d'inclure vraiment les lecteurs et lectrices du bouquin dans le processus de lecture.
Tu choisis une écriture épicène pour vraiment accompagner la description de Max. Est ce que tu t'es questionnée sur le besoin d'inclure des points médians ou de marquer plus de manière plus visuelle cette question de la non présence du genre?
La question du point médian, elle a été évacuée assez vite par l'écriture. En fait, comme le bouquin est écrit à la première personne, ça résolvait d'une certaine façon cette question là. Sinon, effectivement, la question s'est posée de façon indirecte quand il a fallu qu'on rédige la quatrième de couverture. Quand l'équipe de com a travaillé sur le texte qui accompagne le bouquin pour les services presse, ils étaient un peu plus en galère parce qu'il y avait plein de moments où ils se rendaient compte que, à la troisième personne, la question est beaucoup plus difficile à évacuer (rires).
C'est un peu le propre de la langue française. Donc ils ont été obligés de recourir à cette grammaire-là. En fait, moi, à l'écriture du roman en lui même, la question ne s'est pas tellement posée. Je n'ai pas conçu le personnage comme étant un garçon ou une fille, ou tout ce qui est possible entre ces deux dans ce spectre.
Tu entretiens un lien fort aux images à travers l'analyse filmique. Le texte apporte-t-il davantage de liberté dans les représentations ?
J'ai un lien plutôt fort, comme tu dis, à l'analyse filmique, parce que c'est ma formation universitaire. J'ai fait des études de ciné, j'ai fait une thèse... Donc j'ai pratiqué. C'est un exercice que j'ai pratiqué pendant assez longtemps. Je suis devenue adulte avec les films et avec la pratique de l'analyse filmique.
Je ne sais pas si mon écriture a une dimension très visuelle. Ça, c'est pas à moi de décider, mais en tout cas ça, ça a déterminé la façon dont je vais séquencer. Par exemple, je fais beaucoup de "raccords cut". On passe d'un espace à un autre, sans forcément qu'il y ait une phrase du genre Le lendemain, chez ma grand mère, ce genre de truc, ce sont des trucs que je supprime. J'enlève ça dans le texte parce que voilà, je trouve que ça encombre. Et après, au niveau des représentations, c'est à dire que le texte en lui même autorise une indétermination physique des personnages avec lesquels on travaille, qui à priori amène plus de liberté.
Même si ça me dérange de dire "plus de liberté". C'est comme si on faisait une sorte de gradation entre ce qui relève de la représentation littéraire et ce qui relève de la représentation filmique. e pense que les deux agissent sur des terrains qui sont qui sont différents.
J'ai l'impression que ça se retrouve aussi beaucoup dans la description des rapports sexuels, du désir qui est effectivement très fort. On ne met pas de genre et en fait, on n'en a pas besoin. Et je rapproche ça d'un texte que tu as écrit sur ton blog Furax, consacré un article à l'écriture de la sexualité. Et tu parles notamment du chapitre Sexe de Dorothy Allison où elle parle aussi de déconstruire les imaginaires sexuels lesbiens à travers le texte, là où le visuel la déçoit tout le temps. Et c'est quelque chose que tu que tu partages aussi.
Allison, je l'ai vraiment découverte il n'y a pas très longtemps. Justement, quand je travaillais sur La chasse et où je cherchais en fait un peu qui avait écrit sur la sexualité et comment un discours avait été produit là dessus. Donc c'est là, à ce moment là, que je suis tombée sur sur ce texte-là, que je trouvais absolument merveilleux. Ce qu'elle explique là-dedans, c'est que l'imaginaire sexuel a été façonné par l'hétérosexualité, y compris l'imaginaire visuel, et que c'est une façon de se réapproprier cet imaginaire là. Ça passe par le texte, en partie.
Toujours dans ce même article, mentionne le livre Romance d'Arnaud Cathrine et tu dis, je cite Quand j'avais quatorze quinze ans, je dormais dans les bras et les cheveux de ma meilleure amie. Elle me racontait des histoires de cul avec mes chanteurs préféré et il a fallu que je lise Romance l'hiver dernier pour comprendre ce que ça voulait dire. Qu'est ce que tu a trouvé dans ce texte ?
Eh bien que j'étais lesbienne ! (rires)
Si Arnaud Cathrine avait écrit ça il y a 20 ans, ma vie aurait été beaucoup plus simple. Il se trouve que je l'ai lu là à plus de 30 ans. Il n'est jamais trop tard. Mais en fait, ce que j'ai trouvé dans ce texte, c'est une description des relations à l'adolescence. La relation entre ces deux gars qui ressemblait vraiment très fortement à ce qu'avaient été mes amitiés quand j'étais ado. Mais je n'avais alors pas les armes pour comprendre ces relations comme étant des relations amoureuses. Pour ça, ce roman est incroyable.
Est ce que tu sens a posteriori que tu as été vraiment en manque de représentation?
C'est une question que je me pose beaucoup en ce moment... Et en fait, je ne suis pas certaine que ce soit une question de représentation. Parce que quand je fais le bilan a posteriori, mon panthéon culturel, littéraire, filmique, théâtral, tout est rempli de gays, de lesbiennes. Partout ! (rires)
C'est pas des modèles dont j'ai vraiment manqué. Je pense que ce dont j'ai manqué, c'est une impulsion intérieure. En fait, c'est une capacité de reconnaissance de moi même. Mais je pense que ça ne pouvait pas venir de l'extérieur parce que toutes les représentations qui venaient, je n'étais pas capable de les envisager comme me parlant à ce niveau-là.
Alors bien sûr, on a besoins de représentations ! Tous les jeunes queers ont besoin de ça. Mais est-ce que ces représentations suffisent ? Je ne crois pas. Et là, ça change la perpsective. C'est faire peser la responsabilité non plus seulement sur les créateurs créatrice, les auteurs, les actrices, etc, mais aussi sur les institutions avec lesquelles on grandit, les discours avec lesquels on grandit, les cercles familiaux dans lesquels on grandit. En fait, l'ouverture doit être possible à un moment et s'il n'y a pas d'espace, on peut mettre toutes les représentations qu'on veut. La capacité de reconnaissance ne peut pas éclore à mon sens.
Ça me fait penser à ce que tu dis dans le prologue. « Tout le monde peut avoir peur, tout le monde peut pénétrer et tout le monde a besoin de capote. » Est ce que tu as l'impression que ces questions de sexualité, elles sont éludées dans la littérature jeunesse ?
Malheureusement, je ne suis pas sûre que ce soit complètement éludé. Parce que c'est surtout en fait que c'est une chasse gardée d'éditeurs qui sont spécialisés ou dans la romance type dark romance, par exemple. Et en fait, le souci qu'on a, c'est précisément que c'est une question. C'est difficile de s'emparer de cette question pour les ados pour avoir un peu parlé de sexualité avec des classes, avec des collégiens. Quand je fais des ateliers d'analyse filmique ou des trucs comme ça, c'est un sujet sensible Et en même temps, ils y vont avec l'arrogance de leur âge. Et c'est beaucoup de stratégie de défense parce que la plupart du temps, ils sont très inexpérimentés, évidemment.
C'est un sujet dont il faut s'emparer et en même temps, précisément parce qu'il est difficile et parce que ce n'est pas non plus un sujet qui est très porteur au niveau du marché de l'édition jeunesse. On a peut être un peu tendance à laisser ça de côté. C'est pour ça qu'une collection comme L'ardeur et d'utilité publique. En tout cas, il y a une conviction politique derrière la collection qui est de reprendre la parole là-dessus, de redonner aux auteurs, aux actrices, aux écrivains, l'occasion de produire des discours à destination de la jeunesse, mais qui soient des discours conscientisés, parfois explicitement militants, et d'aller un peu concurrencer le tout le marché de la romance hétéronormée ou en tout cas peu critique.
Cet été, le ministre de l'intérieur a interdit le roman Bien trop petit de Manu Causse, publié également dans la collection L'ardeur. Et ça en dit long sur ce tabou toujours présent de la sexualité chez les adolescents. Comment as-tu réagi ?
D'abord, j'ai été fière d'être publiée dans une collection censurée par Darmanin ! (rires)
Mais ensuite oui, je pense que c'est très, très inquiétant. Au fond, ça en dit long sur la l'impensé qu'est la sexualité adolescente. Comme si on arrivait à la sexualité quand on avait 25 ans et comme s'il ne se passait rien dans ces années un peu charnières qui nous conduisent vers les adultes actifs sexuellement qu'on va devenir, qu'on va devenir plus tard. Donc il y a une forme de pruderie.
En même temps, c'est aussi une forme d'opportunisme politique. Au moment où Darmanin crée la polémique autour de ça, il sait très bien que pendant qu'on parle de ça, on ne parlera pas d'autre chose. Et c'est triste aussi de constater que c'est un sujet qui peut leur servir de couverture pour d'autres choses. Alors que c'est un sujet très, très sérieux.
Tu vas continuer à écrire sur ce sujet ?
Je vais essayer de continuer à écrire le plus longtemps possible. Moi, j'ai très envie d'écrire depuis très, très longtemps. Donc là, c'est très très émouvant de voir que le livre soit sorti sur un sujet pareil, que ça a accompagné aussi un mouvement radical dans ma propre vie. C'est assez émouvant que le livre existe. Après, je travaille sur un nouveau projet qui j'espère, pourra voir le jour... Donc on va essayer de durer dans ce milieu et puis de continuer dans dans ce milieu de la littérature jeunesse qui permet beaucoup de choses. La littérature jeunesse a pour mérite de se poser explicitement la question du public auquel elle s'adresse. Ce qui n'est pas forcément le cas de la littérature dite pour adultes, respectable.
Et ça me politiquement, ça m'intéresse. C'est cette littérature qui est explicitement située en fait, qui s'adresse à un public particulier. Donc j'espère continuer encore longtemps, oui !
• Furax, le blog de Maureen Desmailles. Elle y parle de ses envies d'écriture et raconte ses questionnements d'autrice.
• Entretien avec Manu Causse dans les colonnes du Figaro suite à la censure de son livre, Bien trop petit, paru dans la même collection.
• Le site internet des éditions Thierry Magnier.
Générique de début : Jacob, Lucie Antunes
Générique de fin : Ca, c'est mon corps, Léonie Pernet
Présentation : Diego de Cao
Préparation : Zoé Monrozier et Nathan Binet
Réalisation : Colin Gruel