L'HEBDO — Au Liban, la communauté queer sous press...
L'HEBDO — Au Liban, la communauté queer sous pression

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Société
vendredi 10 novembre 2023
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Le Liban est un pays souvent perçu comme progressiste sur les questions queers. Sa scène queer et artistique ne cesse de se développer et de gagner en visibilité. Pourtant, alors que le pays s'enonce dans la crise économique depuis plusieurs années, la communauté LGBTI+ subit de plus en plus de discriminations et d'attaques.

En mai 2017, Beyrouth, la capitale du Liban, accueillait la première Pride dans un pays arabe. Une avancée énorme pour la lutte pour les droits LGBTQ+ dans un pays où l’homosexualité est encore pénalisée.

Depuis, malgré les tentatives, la marche des fiertés n’a pas eu de nouvelle édition et les mesures répressives envers des personnes queers continuent. L’arrestation en 2018 de l’organisateur de la marche, les différentes directives illégales pour interdire les évènements pro-LGBT, ou encore très récemment en août 2023, une attaque d’un bar queer à Beyrouth par un groupuscule extrémiste chrétien ne sont que trois exemples parmis d’autres qui témoignent de la violence que subit la communauté.

Pour en parler, nous recevons Nicolas Abi Chebel, co-président de Wassla. Cette association basée en France qui permet de créer des lieux de rassemblement et d’information pour les personnes arabes et queer.

Tu es impliqué dans la lutte pour les droits des personnes queers au Liban via l'association Wassla, en France. Est ce que tu peux nous présenter vos actions? 

Nicolas Abi Chebel : Wassla est une association qui a germé au lendemain de la mort tragique de Sarah Hegazi. L’association a été créée officiellement en 2021, l’année suivante. Notre but, c'est d'offrir un espace de solidarité, de partage, d'expression pour les personnes queer originaires des pays du monde arabe et arabophones, tout en maintenant des liens étroits avec la société française. 

Est ce que c'était une initiative qui était déjà présente en France de créer ce genre d'association ou vous avez vraiment amené quelque chose qui était vraiment nécessaire? 

Il y a d'autres associations qui ont des objectifs similaires. Par exemple, l'association Shams qui s'adresse particulièrement aux personnes d'origine maghrébine, mais qui revendiquent aussi d'accueillir des personnes de toutes origines, dans tout le monde arabe. Il y a aussi Enki, qui aide principalement les personnes persécutées dans leur pays d'origine à arriver dans un pays où elles se sentent plus en sécurité, notamment en France. La particularité de Wassla, c'est qu'on a voulu créer une communauté, plutôt qu'une association. On privilégie les initiatives et les projets des membres et on soutient les porteurs de projets. Un de nos principes fondamentaux, c'est qu'on fait tout pour ne pas avoir une notion de bénévole, de bénéficiaire et que c'est là où la solidarité prend tout son sens. C'est-à-dire qu'une personne peut être aujourd'hui bénéficiaire. On est contre ce clivage bénévole/bénéficiaire qu'on peut parfois observer dans certaines associations.

Malgré l’image progressiste dont le Liban jouit, les droits des personnes queers peinent à avancer dans le pays. Comment l’expliques-tu ?

C'est difficile d'identifier de façon précise les raisons de ce rejet. D’ailleurs, les LGBTphobies existent et gagnent du terrain partout dans le monde. Pour moi, le facteur principal, c’est l'ingérence accrue de la religion dans la vie de la société. La plupart des religions restent encore assez hostiles aux personnes LGBTQI+. 

Il y a aussi un rôle de la colonisation, parce que, au Liban, mais aussi dans beaucoup de pays, les lois qui pénalisent, qui incrimine l'homosexualité, sont des lois importées. Elles ont été introduites dans le dispositif législatif des pays par les forces coloniales, et donc notamment la France en ce qui concerne le Liban. L’article 534, qui criminalise les relations “contre-nature”, est un héritage de cela. 

Et puis il y a aussi un opportunisme politique. Aujourd'hui, il est toujours utile pour pour le système politique en place, quel que soit le pays, d'utiliser des sujets qui font peur à la société et d'alimenter cette peur pour maintenir son pouvoir. 

Aujourd’hui, le Liban est un pays très clivé, avec un discours qui consiste à dire que la question des droits LGBTI+ est une importation occidentale, et va à l’encontre des valeurs orientales. Et ce clivage est instrumentalisé par les acteurs politiques et religieux en place pour pour alimenter en fait cette peur, ce sentiment alimenté, ce sorte de repli sur soi et et en conséquence, le rejet de la communauté queer. 

Parlons justement de l’article 534. De nombreuses personnes jugées sur la base de cet article ont été acquittées. Est-ce un signe que l’homosexualité pourrait être définitivement dépénalisée ?

En effet, depuis 2018, il y a eu des jurisprudences qui vont à l'encontre de l'application de cette loi. En juillet 2018, la Cour d'appel pénale du mont Liban a confirmé un jugement d'une cour inférieure qui a acquitté neuf hommes, poursuivies parce qu’ils étaient gays. La Cour d'appel avait considéré que des relations sexuelles consenties, même entre personnes du même sexe, ne pouvaient pas être considérées comme contre-nature, surtout si elles sont pratiquées dans la sphère privée. C'était une première au Liban et ça a été très, très bien accueilli par les et par la société civile, par les activistes. 

En 2019, c'est au tour de la cour militaire du juge Germanos d'acquitter quatre militaires qui étaient aussi accusés de sodomie, toujours en invoquant qu'il ne s'agit en aucun cas de relations sexuelles contre-nature. Donc ces deux jurisprudences ont constitué un espoir pour la communauté, mais ça reste quand même quelque chose d'assez fragile parce que tant que la loi existe, elle est toujours susceptible d'être appliquée. Et les tentatives de l'abroger ont été plutôt timides. En tout cas, elles n’ont jamais abouti pour l’instant.

Comment vit-on aujourd’hui son homosexualité au Liban ?

En faisant attention, en restant discret et discrète, en fréquentant des membres de la communauté. Et puis, comme partout, les personnes qui en souffrent le plus, ce sont les personnes qui ont d'autres vulnérabilités. Aujourd'hui, une personne qui a les moyens de faire des rencontres et un appartement où elle peut inviter des amis, des amants, des amoureux ou amoureuses… est moins exposé à des poursuites qu'une personne pauvre qui a besoin de faire des rencontres dans des endroits plus ou moins publics ou des personnes qui n'ont qui n'ont pas le soutien d’un famille pour les aider au cas où elles se feraient arrêter. C’est surtout le cas des personnes étrangères, des personnes réfugiées, des personnes sans papiers : ce sont les plus exposées à des persécutions. 

Est ce qu’aujourd'hui, on trouve des lieux communautaires publics pour les personnes queers au Liban ?

Oui, il existe des lieux communautaires pour les personnes queers. Le principal selon moi, c'est un bar dans la banlieue de Beyrouth, madame Om bar, dans un des quartiers de Beyrouth est le fameux bar qui a été attaqué, qui a été attaqué récemment par par le par le groupuscule extrémiste Chrétiens et soldats de Dieu. Et avant l'explosion de la crise économique, il y avait un autre lieu qui était à Ramallah, qui s'appelait le Bardo, que j'affectionne particulièrement. 

Le bar Madame Om a pignon sur rue. Il a subi d’importants dégâts suite à l’explosion du port de Beyrouth à l’été 2020, mais il a pu rouvrir. 

Et ce qui m’avait marqué quand j’avais visité ces deux lieux, c'est que c'étaient des endroits très, très discrets. Pour accéder au Bardo, il fallait faire le tour d'un immeuble, donc l'accès n'était pas sur la rue mais à l'arrière, dans la cour de l'immeuble. Et Om était au second étage. Donc je peux t'assurer que le jour où j’ai voulu y aller, j'ai sillonné la rue trois fois pour trouver et jusqu'au moment où j'ai compris !

Donc ces lieux ont le mérite d'exister. Ce sont des endroits qui se doivent de rester très discrets. Je m’en suis fait expulser l'année dernière parce que j'ai embrassé mon mari, parce que c'est la seule façon de protéger les personnes qui viennent passer un bon moment dans ces lieux. Aucun des lieux communautaires au Liban ne se revendique vraiment un lieu queer. C'est le bouche à oreille qui fait que c'est connu de la communauté, mais il n’y a aucune publicité. Et tu verrais jamais un drapeau arc en ciel dans un endroit queer au Liban. 

Qu'en est-il de la question de la transidentité ?

Depuis 2016, il est possible au Liban de changer de genre à l'état civil, à condition d'avoir l'avoir été, d'avoir subi des opérations chirurgicales de rationnement du sexe. Mais je pense que ça reste très, très compliqué. Il faut dire que les personnes trans sont encore plus invisibilisé au Liban qu'ailleurs. 

Tu disais qu'on ne peut pas du tout voir de drapeaux LGBT au Liban… Pourtant il y a eu une marche des Fiertés en 2017. Est ce qu’il y a aujourd'hui une régression de la visibilité queer ?

Pour répondre à ta question, il faut revenir un peu en arrière. 

Au Liban, l’activisme queer commence au début des années 2000 avec la création de l’association Helem. Les personnes queers ont gagné en visibilité dans les médias et leurs combats ont été portés sur les scènes politiques et culturelles. Mais je pense que cette visibilité a eu aussi un prix : notre communauté a été plus exposée. À partir des années 2020, on a commencé à constater un recul des droits. Même si ce n'est pas exactement un recul parce que les droits n'existaient pas. Mais il y a eu une sorte d'acharnement qui a connu son apogée cet été vis à vis de cette communauté. 

On parlait tout à l'heure de la première presse de Beyrouth en 2017. En fait, suite à des menaces de certains de certains groupes religieux, la Pride n'a pas vraiment eu lieu. Elle a été transformée en réunion, en ateliers, en tables rondes et en 2018, l'initiateur de cette manifestation a été arrêté et tous les événements qui étaient organisés dans ce cadre ont été interdits. 

Le pouvoir politique a tout fait pour étouffer ces manifestations. En 2022, le ministre de l’Intérieur libanais a de nouveau décidé d’interdire toute manifestation faisant, selon lui, la promotion de la déviance sexuelle. Bien que cette décision a été invalidée par le Conseil d'État suite à une plainte présentée par des associations, le ministre continue d’interdire ce genre d'événement. Puis il y a eu la crise qui est passée par là en 2019. La communauté queer a été très mobilisée dans la contestation sociale. Les soulèvements populaires qui ont démarré en 2019 ont pas mal porté la question queer. Les dirigeants politiques s’en sont rendu compte et ont intensifié leurs persécutions contre la communauté. En fait, ils se servent de ce sujet pour détourner la population des vrais sujets.

En septembre 2022, le groupe libanais Mashrou’Leila s’est séparé après des années de harcèlement, de tournées annulées ou de mise au ban par plusieurs pays arabes. Qu’est-ce qu’il représentait, ce groupe pour la communauté queer libanaise et même arabe ?

C’était une belle parenthèse, malheureusement elle s’est fermée. Pour nous ça représentait une lueur d’espoir. Pour la première fois on avait une initiative artistique qui portait notre voix, en qui on pouvait s'identifier. Malheureusement, Mashrou’Leila a aussi été victime de son succès. Ils ont commencé en tant que groupe très confidentiel et et ils ont réussi à se faire connaître de plus en plus par la communauté queer, mais aussi par la jeunesse de façon générale, pas par la jeunesse qui a des valeurs progressistes.

Parce qu'à l'époque, il n'y avait aucune autre initiative qui réunissait à la fois des valeurs progressistes et qui défendait ou qui parlait ouvertement des problématiques queer. Et notamment à travers le chanteur principal Hamed Sinno dont que viens de citer et dont on vient d'écouter les mots, qui lui se revendiquait ouvertement queer et qui représentait une forme de modèle pour beaucoup de personnes dont beaucoup de jeunes personnes queer dans le Moyen Orient.

Donc le succès venant, le groupe commençait à être un peu plus visible, un peu mal vu par les autorités de certains pays. Ça a commencé en Jordanie, ça s'est poursuivi en Egypte et ça s'est terminé au Liban à l’été 2019, peu avant la révolution où leur concert des dix ans avait été annulé. C'était un concert qui devait avoir lieu à Byblos, une cité antique sur le bord de la Méditerranée et c'est là où ils avaient fait leur premier concert. Des extrémistes chrétiens ont menacé le festival de violences si ce concert n'était pas annulé. Et il a été annulé et c'était la dernière date du groupe. Et suite à cela, malheureusement, le groupe s'est séparé.

Le groupe a été interdit de se produire dans plusieurs pays et notamment en Égypte, suite à un de leurs concerts dans lequel plusieurs membres du public ont été arrêtés et agressés pour avoir arboré un drapeau LGBT. Est ce qu'un militantisme peut perdurer dans des pays où la répression est trop forte?

Bien sûr. Je dirais même que c'est là où le militantisme perdure le plus. Parce que c'est là où le militantisme est le plus indispensable, il prend des formes différentes. Aujourd'hui, je pense qu'on peut être militant LGBT en France de façon très, très publique, très ouverte. Dans un pays comme le Liban ou l'Égypte cela se passe de façon un peu plus souterraine et bien sûr avec des risques plus élevés. Mais jamais une répression avait arrêté des militants de poursuivre leur combat.

Suite à ce fameux concert, une activiste pour les droits des LGBTI+ a subi une immense persécution du pouvoir. Son suicide en 2020 a provoqué la création de Wassla, ton association, est-ce que l’on peut l’on peut revenir sur cela ?

Tu parles de Sarah Hegazi, qui était une activiste queer égyptienne qui militait à la fois pour les droits des personnes LGBTQ+, mais aussi, de façon plus générale, pour plus de justice sociale. Sarah faisait partie des personnes qui ont arboré le drapeau arc-en-ciel lors du concert de Mashrou Leila au Caire. Suite à quoi elle a été arrêtée, torturée, persécutée et emprisonnée plusieurs mois en Egypte. Elle a réussi à en sortir et à obtenir l'asile politique au Canada, mais elle a malheureusement porté avec elle tous les traumatismes qu'elle a subis en Egypte, auxquels s'ajoutent le sentiment d'exil, le dépaysement et les difficultés que les personnes exilées peuvent rencontrer dans dans les pays d'accueil. On le voit beaucoup en France avec des personnes qui sont soit demandeuses et demandeurs d'asile soient soit réfugié·es. Le simple fait d'obtenir l'asile dans un pays ne suffit pas pour que tous les problèmes soient résolus. Au contraire, ce n'est qu'une étape dans une longue série de combats. 

La mort dramatique, tragique de Sarah nous a fait prendre conscience qu'il faut que cela cesse. Je n'ai pas eu la chance de participer au rassemblement qui a eu lieu en son hommage mais les personnes qui se sont retrouvées ce jour-là se sont dit “plus jamais ça” et elles ont décidé de se rassembler et de former une communauté. J'ai rejoint le projet un peu plus tard et je l'ai aidé à se structurer et à se pérenniser.

Est ce que votre association organise des actions de soutien et de présence dans les manifestations, notamment avec ce qu'il se passe actuellement au Proche-Orient entre Israël et la Palestine? 

En tant qu'association, nous avons pris part officiellement de façon officielle au débat en cosignant une tribune portée par le collectif Du pain et des roses qui appelle à un cessez-le-feu et qui alerte la communauté internationale sur le massacre qui a lieu actuellement à Gaza. Ensuite sur le terrain, dans la rue, la participation s'est plutôt faite sur le plan individuel. Nous le relayons sur nos canaux internes et les gens s'organisent, nous n'avons pas eu une présence officielle dans les manifestations pour le moment.

« Je n’écris pas sur le massacre. On n’écrit pas sur un massacre. Je n’essaie même pas, toute parole serait vaine, et la langue plus étroite que le massacre. Et je n’écris pas sur eux, ceux qui ont vécu le massacre. J’écris sans doute sur nous, qui l’avons vu de nos propres yeux. Ce qui est sûr, c’est que j’écris sur ceux qui, quand ils ont vu le massacre, ont détourné le regard. Comment ont-ils détourné le regard ? »
Sur le devoir de fixer du regard un cadavre - Samir Skayni

Références citées dans l'émission

• Chanson diffusée : Tayf, du groupe libanais Mashrou Leila

• Le podcast Sarde dans lequel Hamed Sinno annonce la fin du groupe Mashrou Leila (vidéo en arabe, sous-titrée en anglais)

Vidéo du média libanais « L'Orient Le Jour »sur la situation des personnes queers au Liban

Reportage d'OrientXXI auprès de la communauté queer libanaise

Le texte de Samir Skayni lu par Nicolas Abi Chebel à la fin de l'émission


L'équipe de l'émission

Présentation : Diego de Cao

Préparation : Zoé Monrozier et Nathan Binet

Réalisation : Colin Gruel