Sun Kil Moon • The Possum
Le 20 juin, c'était la journée mondiale des réfugié.e.s. À cette occasion, on parle des parcours semés d'embûches de exilé.e.s LGBT+.
Vous n’êtes pas sans savoir que depuis les élections européennes, la France est sous tension. Disons qu’elle l’était déjà avant, que la montée de l’extrême droite inquiétait, mais l’énorme taux de vote en faveur du RN suivie de l'inattendue dissolution de l’Assemblée Nationale par le président de la république a réellement fait l’effet d’une bombe dans le paysage politique et social, elle a fait naître la crainte fondée que l’extrême droite pourrait siéger à l’assemblée non dans 3 ans, soit aux prochaines élections présidentielles, mais là, maintenant, en juillet 2024.
Nous avons très peu de temps pour nous organiser, gauche antifasciste, écolos et consorts, afin de ne pas laisser les fachos nous submerger davantage.
Si le RN remporte une majorité de sièges à l’assemblée, les premières victimes seront - oh surprise ! - les personnes les plus précaires, déjà marginalisées, en premier lieu, les exilé.e.s. Puisque nous sommes au Lobby, en ce lendemain de journée mondiale des réfugié.e.s, nous nous intéressons cette semaine aux exilé.e.s queers.
Pour en parler, nous recevons :
• Christophe Caulier, co-président de l'Ardhis
• Booba Camara, membre du conseil d'administration de l'Ardhis
Le site internet de l'Ardhis : https://ardhis.org/
Le Lobby : Comment vous avez vécu ces derniers jours ?
Christophe Caulier : C'était des journées assez pénibles pour ne rien vous cacher. On a essayé de communiquer de façon pas trop anxiogène auprès des demandeurs d'asile que nous accompagnons et en même temps en essayant au maximum de ne rien dissimuler quant aux enjeux en cours. Ça s'agite beaucoup dans le microcosme LGBT+ et également dans le microcosme de l'accompagnement des demandeurs d'asile et des réfugiés. On essaie de se réunir, on essaie d'échanger, on essaye de discuter. On n'est pas tous complètement sûrs que ça change quoi que ce soit. Les électeurs ont l'air assez déterminés dans leur vote. Ça a l'air d'être malheureusement assez stabilisé. On est quelques uns et quelques unes à essayer d'anticiper l'avenir, à essayer de voir un petit peu quelles pourraient être les premières mesures du RN si jamais le RN obtient une majorité à l'Assemblée nationale.
Booba Kamara : Oui, comme l'a dit Christophe, ces dernières semaines ont été très plus agitées. Avec l’ARDHIS, nous avons des actions d'envergure. Nous nous sommes retrouvés sur différents sites pour pouvoir exprimer pas forcément notre ras le bol, mais exprimer nos inquiétudes face à la montée en puissance du RN. Et c'est une situation qui n'est pas faite pour nous arranger. Parce que nous, dans un premier temps, en tant que demandeurs d'asile ou réfugiés, vu les différentes persécutions et les violences que nous avons subi dans nos différents pays d'origine, cette position du RN à l'Assemblée nationale sera très inquiétante et pour les futurs réfugiés, ça sera catastrophique.
Le Lobby : On a régulièrement reçu des invités pour nous parler de la situation des LGBT dans le monde. Je pense à Igor Chervinsky, un militant ukrainien réfugié en France, ou encore Sébastien Tüller qui nous avait parlé de la situation en Ouganda il y a quelques mois. D'ailleurs, vous pouvez écouter ou lire nos entretiens sur le site de Radio Campus. On sait que les droits des personnes LGBT sont complètement inégaux dans le monde et la France jouit plutôt d'une image positive quant à l'immigration, c'est un pays vu comme assez accueillant, notamment envers les LGBT. Peut être que vous pouvez un peu nuancer cette image,Christophe et Booba.
Christophe Caulier : Je vais partir d'un exemple que je cite assez souvent. Quand en 2013, il y a eu les débats autour du mariage pour tous en France, ils ont été relayés dans un certain nombre de pays francophones parmi nos ex-colonies. Il y a un proverbe ivoirien qui dit “quand il pleut à Paris, Abidjan est mouillé.” Et c'est vrai qu'en 2013, un certain nombre de personnes qui n'avez peut être pas accès aux informations auparavant ont ainsi découvert qu'en France, et puis plus généralement en Europe, il y avait un certain nombre de lois protectrices à l'endroit des personnes LGBT. Et ça a contribué comme ça à asseoir auprès des personnes LGBT dans leur pays d'origine respectifs, une certaine image positive de la France et en parallèle à dégrader l'image de la France auprès des personnalités politiques les plus réactionnaires des dits pays. Pour l'heure, je ne sais pas exactement dans quelle mesure les dernières évolutions -il y a les législatives-, mais bien avant, malgré tout, il y a eu la nouvelle loi asile immigration qui a quand même été assez sévère sur l'accueil, en tout cas des demandeurs d'asile et des personnes réfugiées, LGBT ou non, en France. Il y a eu ensuite assez rapidement les nouvelles directives européennes en matière d'asile, qui sont une catastrophe puisqu'en fait on voit se dessiner une tendance très, très inquiétante, c'est à dire faire une espèce de pré tri aux frontières européennes, mais à l'extérieur des frontières européennes. Déterminer si les personnes ont vocation ou non à entrer sur le territoire européen pour y déposer une demande d'asile. Donc tout ça s'inscrit dans une continuité navrante. Je ne suis pas en mesure de vous dire très exactement comment toutes ces informations se sont déjà un petit peu propagées, en tout cas dans les milieux LGBT militants des pays de la francophonie.
Le Lobby : Et vous Booba, comment vous avez connu l’ARDHIS et ça fait combien de temps que vous êtes en France?
Booba Camara: Merci pour la question, ça me fera un an que je suis en France. Lorsque je suis arrivé, je me suis donné un temps de repos parce que émotionnellement j'étais vraiment touché et aussi je n'avais pas de repères, j'étais vraiment perdu et même pour se déplacer, je ne savais même pas que le Navigo existait. Moi j’avais cette volonté de vivre mon homosexualité parce que disons, cela fait bientôt 40 ans que je suis dans mon pays, en Côte d'Ivoire et on vit dans des situations qu'on n'arrive pas à exprimer. Notre homosexualité est camouflée, même sur les réseaux sociaux, toujours obligé de t'afficher avec des personnes. Lorsque il y a des débats LGBT, tu es obligé de te ranger aux côtés des homophobes.
Donc arrivé en France, je me suis donné un temps pour pouvoir essayer un tant soit peu. Dans mes nombreuses recherches -je suis un friand de l'internet- je voulais appartenir à une communauté qui pourra m'écouter, m'épauler, me faire des amis. Qui pourra un tant soit peu m'orienter. Et dans mes recherches, j'ai vu plusieurs associations. Je suis parti dans différentes associations, je me suis baladé et j'ai rien vu. Il y a beaucoup d'associations donc je cherche encore et je vois ARDHIS. D'abord, j'ai défilé et ce qui m'a impressionné, c'est la beauté, la qualité du logo qui a été fait. Parce que ça représente les couleurs LGBTI. Mais ensuite je vois que dans le logo, tous les continents du monde sont représentés dans le logo et super, c'est un bon graphiste. J'étais d'abord attiré par le logo et j'ai commencé à défiler sur la page. Je vois les actions, je cherche l'adresse. On me fait savoir que c'est samedi, il y a une permanence et samedi j'arrive, je vois du monde, je vois des personnes et sans le savoir, je tombe sur la coprésidente Aude. Il y avait du monde avant moi, on me disait que ça allait être fermé et moi j'ai juste sauté sur l’occasion parce que j'ai vu l'ambiance. C'était chaleureux. Je ne savais pas qu'elle était présidente. J'ai expliqué ma préoccupation et elle a pris à bras le corps et depuis lors, j'ai plus cherché à partir vers d'autres associations et j'ai fait ça de ma famille. Voilà, donc c'est comme ça.
Le Lobby : Pour revenir à ma question concernant l'immigration, dans les faits, ça reste assez compliqué pour les personnes qui veulent venir en France pour des raisons liées à leur genre ou à leur sexualité, à l’ARDHIS vous êtes les premiers à le voir et à aider ces personnes dans leur parcours d'immigration, d'intégration en France. Comment vous accompagnez ces personnes en exil?
Christophe Caulier : Historiquement, on a beaucoup fait d'accompagnement très individualisé. C'est à dire que quand une personne se présentait, si elle était au début de sa procédure, on l'aidait à écrire son récit, c'est à dire qu'on l'aidait à exprimer des choses dont elle n'avait parfois jamais parlé. C'est un exercice qui est particulièrement difficile pour les personnes de devoir mettre des mots sur des expériences, sur des choses qui sont très intériorisées et, encore une fois, des événements, des souvenirs qu'elles n'ont pas nécessairement interrogées, qu'elles n'ont pas nécessairement mis en perspective et surtout pas dans la perspective d'une demande d'asile. On a essayé aussi d'aider les personnes au moment où elles passaient à l OFPRA. C'est un exercice, le passage à l'OFPRA, c'est à dire qu'il y a des attentes des institutions en matière de, encore une fois, d'expression de soi, d'être capable de répondre aux attentes. Alors, ce ne sont pas des attentes nécessairement stéréotypées de la part de l'OFPRA, mais en tout cas, c'est une espèce de calibrage. Il faut être capable de pouvoir parler, par exemple, de la façon dont on s'est rendu compte qu'on était gay, lesbienne ou trans. C'est à dire qu'il va falloir se remémorer un petit peu toutes les différentes étapes de la construction de sa personnalité en la matière. Et ça, c'est pas un travail non plus qui est forcément très très évident pour les personnes qu'on rencontre.
Le Lobby : Est ce que vous diriez qu'il faut un peu prouver la discrimination dont on est victime?
Christophe Caulier : Il n'y a pas une dimension de preuve au fond, parce que on part du principe que être LGBT, on ne peut pas le prouver. En fait, ce qu'il faut, c'est obtenir la conviction de l'officier de protection en face, en étant suffisamment précis dans ses réponses, en donnant suffisamment d'informations qui n'appartiennent qu'à soi même. C'est à dire qu'il faut éviter de tomber dans les généralités et il faut pouvoir comme ça se raconter de telle sorte que l'officier de protection va en face se dire bon, ça ressemble à quelque chose de vécu, ça ressemble à quelque chose d'intime et de particulier. Et donc je vais avoir plutôt tendance à croire la personne dans ce qu'elle, dans ce qu'elle me raconte. Avec le temps et face à la demande en face très très importante des demandeurs d'asile dans un contexte il y a quelques années de Covid qui a vraiment laminé en fait l'investissement bénévole (et on peut le comprendre vu le contexte). En fait, il a fallu aussi un petit peu se réinventer et on a commencé à privilégier beaucoup les moments collectifs, c'est à dire des préparations collectives aux attentes de l'OFPRA ou de la CNDA. Essayer de faire parler les gens un petit peu entre eux, pas sur des choses intimes, mais en tout cas les amener comme ça un petit peu à la verbalisation.
Donc ça, c'est pour le versant vraiment accompagnement à la demande d'asile.
En parallèle, on a pu bénéficier du recrutement d'une psychologue quelques heures par semaine. Elle met en place des ateliers de médiation thérapeuthiques qui sont des espaces qui sont généralement très très appréciés des demandeuses et des demandeurs d'asile. Parce que justement, ce sont à la fois des espaces où on peut faire un travail sur soi et en même temps des espaces de convivialité. On a également pu recruter un travailleur social qui a pu également pallier aux difficultés de l'OFII ou de tout un tas d'instances qui ne sont pas toujours très efficaces pour le dire gentiment.
Le Lobby : C'est assez difficile d'avoir des statistiques sur les demandes regroupées sous l'acronyme OSIG (es personnes qui s'exilent en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.) J'ai lu que vous aviez accompagné à peu près plus de 800 personnes en 2018. Mais donc c'est ce que vous venez de dire par rapport au Covid ça a évolué. Est ce que vous avez des chiffres pour l'année 2023?
Christophe Caulier : Alors en fait, on est en phase de transition statistique, si je puis dire. Ce qui fait que les chiffres qu'on peut trouver dans notre rapport d'activité antérieures de 2022-2023, sont plutôt des chiffres d'accompagnement individualisés. On développe beaucoup les espaces collectifs, les ateliers collectifs. Ce qui ne veut pas dire qu'on abandonne totalement le suivi individualisé, mais en tout cas, ça prend plutôt d'autres formes. Et donc statistiquement, c'est assez compliqué parce qu'on est sur un phénomène de bascule. Et en fait, les outils statistiques ne sont pas tout à fait encore opérationnels. Je n'ai pas les chiffres en tête, mais en matière d'ateliers collectifs, en 2023, on a accompagné, je pense, plusieurs milliers de personnes quoi. C'est compliqué aussi parce que les personnes reviennent, etc.
Le Lobby : Et vous Booba, vous avez participé à des ateliers collectifs où c'était plutôt individuel ?
Booba Kamara : J’ai participé à plusieurs ateliers collectifs. Au moment où je suis arrivé ils étaient déjà mis en place. À côté, je suis suivi personnellement par un bénévole de l'ARDHIS, Mr Laurent, et je dirais que je ne vais pas toujours à tous les ateliers collectifs de l’ARDHIS, notamment l'Atelier d'écriture de Français de Monsieur Christophe Caulier. Il y a aussi les ateliers de la CNDA, les ateliers de la psychologue, madame Yu, les ateliers cuisine, de danse, d'arts plastiques. Il y a assez d'activités pour permettre aux demandeurs et aux réfugiés de ne pas s'ennuyer, d'être en famille, de se créer des liens, de se faire des carnets d'adresses et d'être encore plus proche des différents bénévoles qui sont très, très aimables.
Le Lobby : Quelles sont les spécificités des demandeurs et demandeuses d'asile LGBT? Parce l’ARDHIS accompagne uniquement des personnes LGBT, qu'est ce que ça change? Est ce que c'est ce récit de soi qu'il faut produire et qui met du temps à raconter, à écrire, à rassembler? Qu'est ce que ça change par rapport à d'autres personnes exilées qui pourraient immigrer pour d'autres raisons?
Christophe Caulier : Je ne veux pas donner l'impression que c'est beaucoup plus facile pour les autres catégories de personnes exilées. Mais il est vrai que, au fond, quand vous êtes une personne LGBT et que vous avez grandi dans un pays où vous n'avez pas de modèle d'identification, en tous cas pas de modèle positif d'identification, parce que des modèles négatifs, vous en trouvez, les plus vieux du quartier, parlent du “pédé qu'on a chopé” dans le quartier d'à côté, etc. Des modèles d'identification négatifs existent et c'est un petit peu comme ça que vous accédez à qui vous êtes. Tout ça crée beaucoup de troubles. Tout ça crée de grandes difficultés de représentation.
Et je peux vous prendre un exemple un petit peu concret. En wolof, il y a un mot qui est “gόorjigéen”, qui signifie homme, femme qui recoupe plusieurs niveaux de sens. C'est un mot qui peut être relatif à l'expression de genre. Un homme qui a peut être des choix vestimentaires un peu efféminés, va être potentiellement considéré comme un homme-femme. Mais ça recoupe également potentiellement des questions d'identité de genre, puisque ça peut être effectivement des personnes qui sont en questionnement ou qui ont déjà une amorce de réflexion par rapport à leur identité de genre.
Et puis ça peut aussi qualifier les hommes homosexuels, mais toujours avec l'idée du féminin, de l'omniprésence du féminin chez un homme, là où on devrait pas en trouver en fait. Ça sonne d'ailleurs comme une menace. Les petits garçons, s'ils ont des comportements jugés pas assez masculins par leur famille, vont s'entendre dire si tu continues comme ça, tu vas finir gόorjigéen. Pourquoi je prends cet exemple? Je prends cet exemple parce qu'en fait, si vous prenez un garçon à qui on n'a jamais laissé entendre qu'il risquait de devenir gόorjigéen, un garçon qui ne s'est jamais fait insulter, dans une zone peut être un petit peu rurale du Sénégal, il va avoir encore plus de difficultés à comprendre qui il est. Je ne dis pas que c'est formidable d'être identifié à un gόorjigéen et que ça facilite la vie, mais malgré tout, vous avez comme ça une identité, même si c'est une identité qui passe un petit peu par l'injure. Malgré tout, c'est une identité.
Moi, je suis face parfois à des jeunes gens sénégalais qui m'expliquent qu'en fait, ils ont compris vers l'âge de 18 ou 19 ans, même parfois plus tard en fait, qu'ils étaient homosexuels parce qu'ils n'avaient dans leur entourage aucun mot à leur disposition pour véritablement comprendre qui ils étaient, dès lors qu'ils ne subissaient pas l'insulte qui malgré tout, les aidaient à se constituer. Il y a des spécificités aussi du fait que quand vous demander l'asile et que vous êtes originaire d'un pays en guerre, par exemple, si vous avez des papiers d'identité qui peuvent montrer que vous êtes ressortissant d'une zone en guerre, voilà, ça peut constituer d'une certaine façon une preuve. Comme je vous le disais tout à l'heure, il n'y a pas de preuve formelle, il n'y a rien qui peut tout à fait convaincre de façon définitive de votre orientation sexuelle, voire de votre identité de genre. C'est sûr que parfois, par exemple, quelqu'un qui a été militant dans son pays d'origine va avoir plus de facilités peut être à démontrer en fait, que il n'était pas militant LGBT dans la perspective, dix ans plus tard, de venir en France faire une demande d'asile, quoi. Ça, effectivement, ça peut jouer.
Mais il va falloir malgré tout que la personne soit en mesure de mettre des mots, quoi qu'il arrive, sur la façon dont elle s'est construite en tant que personne LGBT, ça ne suffira jamais. Vous pouvez apporter tous les documents que vous voulez si vous n'êtes pas en mesure à l' OFPRA ou à la CNDA de faire la démonstration de par vos souvenirs, de par vos expériences vécues, de votre identité de genre ou de votre orientation sexuelle, c'est plié. J'ajouterai pour finir que c'est pas tellement sur le plan de la demande d'asile, ça va être plus sur les conditions de vie en France. Encore une fois, je ne veux pas donner l'impression que la vie est rose pour les autres catégories de migrants. Mais il est vrai que parfois un migrant va pouvoir bénéficier du soutien de sa communauté d'origine. Et pour les personnes LGBT, c'est beaucoup plus compliqué, soit parce qu'elles vont devoir se planquer. Et donc c'est toujours le risque du dévoilement. Soit parce qu'elles vont être de toute façon repérées comme une personne LGBT. Et donc chassée. Socialement, j'aurais tendance à penser que ce sont des personnes qui sont beaucoup plus vulnérables que d'autres.
Le Lobby : Et vous, par exemple, Booba, vous étiez déjà intégré dans certaines communautés LGBT en Côte d'Ivoire ou est ce que vous avez vraiment attendu d'être en France pour vous rapprocher de la communauté?
Booba Kamara : Moi personnellement, vu que je viens d'une famille musulmane, là bas comme l'a dit Christophe tout à l'heure, il n'y a pas de mot pour qualifier l’homosexualité, même dans les prêches. On te parle plutôt de la fornication, du vol, de l'alcool et on te dira par exemple “des infidèles peuvent être brûlés”. On te donne un avertissement, même si tu es marié, une femme mariée ou un homme marié, si cette personne est infidèle, tu sera lapidée, à plus forte raison quelqu'un qui est LGBT, qui est homosexuel. Donc déjà là, tu connais ton sort depuis le bas âge tu sais, parce que tu entends fréquemment, souvent,par des mots pas trop clairs ce qui pourra t'arriver. Personnellement je n'ai pas pu, vu ma grande famille qui est assez connue et vu aussi mes activités aussi. Si tu te fais identifier comme une personne LGBT, ton boulot sera un enfer. C'est difficile. Et je ne suis pas le seul. Bon nombre de jeunes LGBT en Côte d'Ivoire sont obligés de vivre sous un voile. De faire semblant. Les hommes, ils font comme s'ils sont virils. Ils sont obligés de mettre des filles pour des hommes, des garçons, de mettre des filles dans leur vie et vice versa. Des filles aussi qui sont avec des mecs.
Mais dans le fond, c'est pas leur identité, c'est pas leur personne, c'est comme de la tricherie, c'est des personnes qui sont camouflées au vu de la société. En dehors de la famille, tu peux être d'une famille chrétienne ou musulmane, mais en dehors de la famille, la société, même tu peux être lynché, comme par exemple ça se passe plusieurs fois à Yopougon, à Cocody, dans des endroits qu’on appelle des “couloirs”, ce sont des passages ouverts entre des bâtiments, des gens qui se font lynchés, battre, parce qu’on t’attend au tournant. Tu vis une vie de trouille à répétition si tu te dévoiles. Donc personnellement je n’ai pas appartenu à une communauté LGBT. Tout est caché.
Ce que je sais c'est que ce sont des réseaux, c'est des codes, c'est des grandes précautions. Tu peux t'investir par exemple dans une petite soirée LGBT, tu peux donner des centaines de milles, mais lorsque tu vois qu'il y a le danger, tu laisses pour pouvoir préserver ta vie. Donc impossible. Pour ceux qui s'affichent, je pense que c'est pas des LGBT en tant que tels, c'est des personnes peut être qui font du business, qui veulent entrer dans des sectes ou je ne sais pas, mais c'est difficile. Comme le disait tout à l'heure Christophe, il y a des personnes qu'on appelle des personnes efféminées. Dans notre langue, c'est des garçons à femmes. C'est à dire que lorsque tu es efféminé, automatiquement tu es catalogué comme LGBT. Pourtant c'est pas forcément le cas. Il y a des endroits du pays, de la ville où tu ne peux pas entrer. Parfois tu dois changer ta démarche, ton style vestimentaire, pour avoir accès à certains endroits.
Donc c'est vraiment très pénible pour des personnes qui veulent le faire. Moi je me rappelle y'a il y avait un jeune en Angleterre qui voulait installer un festival LGBT, ils m'avaient sollicité vu que j'étais dans l'événementiel, mais j'ai carrément repoussé du revers de la main pour ne pas m'exposer.
Le Lobby : Merci pour ce partage. Je voulais un peu revenir sur la loi immigration que vous avez évoqué tout à l'heure. Est ce que vous ça a changé quelque chose concrètement à l’ARDHIS ?
Christophe Caulier : Je peux vous donner un exemple concret:jusqu'à présent, la CNDA était à Montreuil, donc la cour d'appel de décision. L'OFPRA est à Montreuil. Donc on pouvait s'attendre, par exemple, à ce que tous les avocats qui intervenaient à la CNDA étaient un petit peu au fait, avaient fini par se former, s'auto former à la question LGBT. Là, le projet, c'est quand même la création d'instances d'appel dans différents tribunaux dans les régions. La CNDA elle est ce qu’elle est, mais il y a au moins comme ça une espèce d'uniformisation des décisions. C'est pas qu'elle est sous surveillance plus facilement par les associations, mais il y a quand même un petit peu de ça. Malgré tout, on échange entre associations sur la situation, sur ce qui va, ce qui ne va pas, etc. C'est relativement facile parce que tout s'y passe. Là, avec la régionalisation des cours d'appel de la demande d'asile, en fait, on est à peu près sûr que dans certaines régions, il va se passer à peu près n'importe quoi sans qu'il y ait de possibilité de contrôle, c'est à dire qu'il y a des régions quand même où il n'y a pas d'associations LGBT très calées sur les questions de la demande d'asile. Alors, je ne veux pas accabler les avocats, mais on va potentiellement se retrouver peut être avec des avocats qui ne sont pas du tout familiers des spécificités de la demande d'asile LGBT. Donc voilà, ça fait partie de nos grandes craintes. Il y a un autre projet qui est alors, lui, à titre vraiment expérimental, c'est la création de France Asile, c'est à dire une modification totale des premiers rendez vous à la préfecture quand on va demander l'asile. C'est à dire que ce que prévoit la loi, c'est que quand les demandeurs d'asile iront en préfecture pour leur premier rendez vous, d'emblée ils rencontreront un personnel de l'OFPRA qui leur posera un certain nombre de questions, de sorte à faire une espèce de proto récit de vie. Or, on sait, nous, à l'expérience, que plus les demandeurs d'asile LGBT sont sollicités tôt dans leur parcours, plus il y a des freins à l'expression. Donc il va s'agir de personnes qui, presque parfois sitôt arrivées sur le territoire, vont devoir comme ça devant tout le monde, peut être avec un interprète de leur communauté d'origine, devoir dire qu'ils sont LGBT. On est à peu près certains qu'il y a tout un tas de personnes comme ça qui n'oseront pas le dire. L'Etat nous promet toujours monts et merveilles en matière de garantie, de sécurité, de protection mais on sait pertinemment qu'il y a tout un tas de personnes qui vont passer sous les radars parce qu'elles n'oseront pas s'exprimer d'emblée. La grande crainte de l'Etat français, si on en juge par sa législation depuis quelques années en matière de droit d'asile, c'est que les gens prennent racine au fond. C'est à dire qu'il faut toujours raccourcir davantage la durée des procédures. Ce qui peut être intéressant parce que quand ça marche, en fait, les demandeurs d'asile peuvent faire leur vie ultérieurement en tant que réfugié. Mais en même temps, comme je vous le disais sur le cas des personnes LGBTI, il faut pouvoir faire ce cheminement intellectuel, psychologique, émotionnel qui va vous amener à raconter votre vie en fait, et avec des délais très courts. On sait pertinemment que ce n'est pas possible. Mais il y a comme ça cette obsession absolument totale à ce que tout aille vite pour que si ça aboutit à une décision négative, on puisse expulser rapidement les personnes avant qu'il y ait un réseau associatif autour d'elle, avant qu'elle se soit fait des amis, etc.
Le Lobby : Cette loi immigration s'inscrit totalement dans un projet anti-immigration de droite et d'extrême droite. Là, par rapport aux législatives, on a vu que les partis ont sorti leurs leur programme. Du côté du Rassemblement national, ils portent des mesures complètement racistes et anti-immigration. Ils parlent de supposées “pompes aspirantes de l'immigration”, ils veulent la suppression de l'aide médicale d'État. Et on a aussi beaucoup parlé de la notion de “préférence nationale”. Est ce que vous pouvez nous dire un peu ce qu'elle recouvre et comment vous voyez tout cela?
Christophe Caulier : Alors, la suppression de l’AME, c'est un vieux fantasme qui court à droite et à l'extrême droite depuis très très longtemps, qui va à l'encontre de toutes les préconisations médicales d'ailleurs, puisqu'on sait pertinemment que si on peut s'épargner des foyers infectieux, autant le faire et que là, elle est supposée pouvoir permettre cela. Donc ça, c'est une idée stupide. La suppression de l’AME de façon quasi miraculeuse, mais avec la promesse que de toute façon le gouvernement proposerait une loi à part sur une réforme de l'AME. Là, on peut être sûr qu'effectivement ça fera partie des projets de loi. Si le RN passe, qui sera assez facilement mis sur le tapis, on peut s'y attendre sur les questions de préférence nationale. Moi, j'identifie là peut être surtout un risque en matière d'hébergement. Il y a sans doute un certain nombre de garde fous pour l'instant, qui pourront permettre de peut être protéger les demandeurs d'asile sur leur espace d'hébergement. Parce que je pense que la nature des structures qui offrent ces hébergements fait que. Mais on peut être à peu près sûr que de toute façon des bâtons seront mis dans leurs roues, ça c'est sûr et certain. Mais par contre, sur la situation des réfugiés, oui, moi je pense qu'on peut s'attendre au pire, et notamment à l'exclusion des réfugiés de tout un tas d' accès au logement. Oui, bien sûr.
Le Lobby : Et vous Booba, vous m'avez dit que vous n'avez pas encore le droit de vote en France puisque vous êtes en demande d'asile. Quel est votre point de vue sur ce que proposent les divers partis qui se présentent aux Législatives ?
Booba Kamara : Nous en tant que refugiés demandeurs d'asile, au nom de tous les immigrés qui sont au sein de notre association. Nous, on demande tout simplement une situation stable pour pouvoir vivre notre homosexualité, pour pouvoir être dans des endroits où nous sommes protégés. Voilà pourquoi bon nombre de refugiés LGBT ont choisi la France, d'autres qui ont eu des parcours migratoires très difficiles, qui sont passés par l'océan Atlantique, ont traversé le désert. Et lorsqu'ils trouvent un point de chute où ils pensent poser la tête pour se reposer, et lorsqu'ils constatent que les choses en cours sont mises en place, pas par les individus, mais par l'Etat lui-même pour pouvoir empirer la situation. C’est déjà catastrophique psychologiquement. C'est une grosse inquiétude pour moi. Personnellement, lorsque j'entends RN, j'ai déjà peur. Pourtant c'est juste une composition de deux lettres. Mais quand j'entends RN tout ce que le RN est en train de prévoir pour pouvoir serrer l'étau sur la condition de vie des immigrés et encore plus les LGBT, je pense qu’il faut que ce quelque chose soit fait pour quand même porter assistance à ces personnes LGBT qui sont généralement marginalisées dans leurs pays d'origine. Lorsqu'elles se retrouvent en France, elles pensent réellement avoir une seconde vie. C'est comme une forme de renaissance. L’ARDHIS est en train de jouer sa part pendant qu’au sommet de l'Etat, nous sommes en train de voir différents changements. J'ai la gorge nouée lorsque j'en parle parce que c'est difficile. Je sais qu’il y a beaucoup des demandeurs et des réfugiés que je connais qui sont dans une situation encore précaire, qui sont dans des centres d'accueil parce qu'il faudra quand même revoir la politique d'hébergement des personnes LGBT. Ces personnes sont dans des situations très difficiles qui ne laissent pas entrevoir parce que bon nombre sont ce qu'ils arrivent pas à s'exprimer. Et Dieu merci, il y a des bénévoles qui savent quand même détecter à travers quelques lignes les différents soucis. Et moi je pense que il faudrait que l'Etat réfléchisse à cela pour vraiment essayer d'être un peu plus docile sur celui des immigrés, surtout de notre communauté LGBTI.
Christophe Caulier : Il y a quelque chose que j'aimerais ajouter. Parmi les craintes également, je pense qu'on peut évoquer celle d'une espèce de décompensations de la société. C'est à dire que là, l'élection potentielle du RN, ça va être une espèce de blanc seing donné à tout un tas de comportements LGBTphobes, de très grandes violences. Et puis cumulées à la haine de l'étranger. Enfin, on imagine bien que les personnes LGBT étrangères vont être vraiment à l'intersection d'une haine assez féroce.
L'équipe de l'émission
Présentation : Zoé Monrozier
Réalisation : Colin Gruel
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