Éclectique et botanique • Culture Gazon
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Salut Audre. Moi c’est Lady Gaza. Comme toi, je suis lesbienne, racisée, de milieu populaire et maman, révolutionnaire. Je ne suis pas poète, mais chanteuse.
Il y a eu une pride radicale à paris le 20 juin, et il pleuvait des queers racisé.e.s. Je voulais te raconter à quel point c’est vivifiant de voir cette force des racisées queers, quand tu sais la douleur que ça a été de se sentir seule dans ce placard. J’étais prise en étau entre la peur de l’exclusion familiale et le racisme des milieux queers et révolutionnaires.
Et Je te dis merci Audre. Merci, car pendant 10 ans, tu as fait partie de mes 2 ami.e.s queers racisé.e.s.
Tes textes me percutaient… J’en pleurais car je me demandais comment une femme, afroaméricaine pouvait autant comprendre les contradictions que nous vivions, dans l’intimité, mais aussi dans ce monde politique brutal, petit bourge et raciste.
Tu comprends comme jamais cette colère due à notre déshumanisation permanente. Tu nous pousses à transformer cette colère. Tu nous pousses à retirer le masque de cette colère qui nous défigure. Tu nous pousses à en faire un cri de fierté et d’organisation.
Depuis, je nous imagine boire des thés pendant des heures.
Je te raconterais la soirée à la Flèche d’or entre queers racisé.e.s. Je débrieferai des heures, la soirées Trace Ta voix, où on mélange tous nos mondes. Ou encore, mon concert d’hier en pleine cité de Créteil, avec des chibanis et chibanias, et où on me présente en assumant que le combat pour nos droits LGBTQI+ est une lutte commune… Je te partagerai les confidences touchantes, rageantes et drôles des bébés lesbiennes. Elles ont 17, 18 ans. Pendant que je faisais la dame du CDI, j’entends une conversation entre plusieurs lycéennes. Une élève, qui porte le voile, conseille son amie lesbienne « attention, t’es sûre que ce n’est pas une hetéro curieuse ? » et voilà quelles ricanent, se taillent entre elles, se soutiennent. S’aiment. Elles s'aiment. Je n’oublie pas nos réunion entre Femmes en lutte 93 et les femmes sans papiers de ST Denis, où on apprend à s’entendre et se soutenir. Ou on finit par faire des manifs avec des copines d’ Accepetess-T en plein St Denis, où une daronne de 70 ans fait un dying avec une femme Trans qui porte sa croix ! Jamais, je n’aurais cru vivre ça, et pourtant, si.Tout ça on y contribue, j’y contribue, et j’en suis fière.
Après je te saoulerais comme une amie qui a besoin d’être rassurée en permanence.
J’aurais besoin de ton aide pour gérer le revers de la médaille. Ce masque que je me suis mise depuis les premières agressions racistes que j’ai subi dès mon enfance, autour de 11 ans, où une femme a failli m’écraser en voiture, en me hurlant « sale arabe ». Ce masque de « mais si regardez, je suis sympa, n’ayez pas peur de moi, aimez moi. » J’étais une vraie mendiante de leur amour, de leur respect. Ce masque ne m’a jamais quitté, jusque dans les organisations militantes où je suis. Et je veux m’en défaire. Malgré la férocité que ça déclenche. Malgré le fait que plus on affirme notre pouvoir et notre parole, et plus la réaction en face est violente. A la soirée à La flèche d’or, très vite, les langues se délient. « Même en manif, alors que la pride est antiraciste et anticapitaliste, je subis le racisme… ». Je pense à cette magnifique femme arabe, qui nous raconte, blessée et blasée, que pendant la manif, elle discutait avec une amie, et qu’une amie blanche de son amie (vous suivez ? ) est venue pour s’assurer qu’elles n’étaient pas en embrouille…. Cette image de nous, toujours agressives, toujours en colère, toujours dans une sorte d’animalité, elle est insupportable.
Ce qui me fait le plus mal c’est pourquoi, pourquoi, pourquoi, on ne m’accorde jamais le bénéfice du doute, la chance de réparer mes erreurs.
Pourquoi je ne réveille pas la même empathie qu’une Sarah, qu’une Chloé blanche? Pourquoi, on me dénie en permanence mon humanité ? Mêmes les personnes racisé.e.s n’arrivent pas spontanément à nous choisir, à se choisir… Ca a un coût, je perds aussi des personnes racisé.e.s qui me trouvent « trop radicales ». Je ne susciterais jamais l’empathie et le respect que je mérite. Mais je ne ferais plus de compromis sur nous-même.
Et toi Audre, tu nous balances tes conseils, telle la grand-mère feuillage des queers racisé•e.s :
«J’ai appris à exprimer ma colère, pour ma propre croissance.» MEUFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !!
Tu nous balances des punchlines poétiques à base de « transformer le silence en parole et en actes »
MEUUFFFFFFFFFFFFF, mais comment on fait ça ?
...Ou encore « Le silence ne nous protègera pas », mais comment on fait ça ?
Non je plaisante. Merci Audre d’être ma BFF de l’au-delà. Grâce à toi, j’ai compris que « la colère, c’est un réactivateur de dignité ». Que la colère, c’est le signal que ton corps t’envoie face au danger. Je sors abîmée de 20 ans de militantisme où je me sentais en danger, prise pour cible, ni vue, ni entendue mais la parfaite caution arabe des quartiers…
Tu nous apprends que cette colère, elle est magnifique. C’est ce qui a fait que nos autres BFF de l’au-delà, Marcha, Sylvia et les autres, ont décidé de ne plus laisser les flics les humilier, en pleine veillée funèbre pour leur ami. Cette colère a permis la création de cette pride, sans laquelle nous ne serions pas là aujourd’hui.
Cette colère a permis de reprendre du pouvoir sur nos vies. Notre colère, quand elle est maîtrisée, collective et dirigée contre les oppresseurs et exploiteurs, c’est un feu d’artifice. Elle répare, elle emmène la justice, la dignité…
Alors pour finir, je vais faire ma propre prise de parole de Pride, allez filez moi un mégaphone !
Merci au Lobby. Ces dernières années ont été éprouvantes pour moi, avec le processus PMA, être une mère sociale, et une féministe ancrée dans les Quartiers Populaires, les violences du milieu militant. Ma dépression a été gigantesque. J’ai cru crever à des moments cette année.
Merci donc du fonds du cœur, d’avoir été un des lieux qui m’a permis de transformer cette colère en paroles et en actes. Merci aux survivantes de Femmes en lutte 93, mes amies, ma mif, ma collègue. Et Sy. Notre rencontre entre deux racisé.e.s de quartiers, perdu.e.s dans le milieu queer, a été une force, qui nous as donné beaucoup, jusqu’à la terreur de 2 ans qui colonise notre lit.
Je n’ai jamais cessé de construire quand on n’a fait que m’entraver, avec des chaînes, qui ne m’appartiennent pas. Ce soir, Je vous rends ces chaînes, je vous rends ce masque. Je ne serais plus une mendiante de l’amour et du respect individuel et militant.
Cette colère, c’est ma boussole politique. Elle me rappelle que je n’étais pas censée survivre. Mais je suis là... Digne, Debout, en vie, en voix, malgré les pertes et les cicatrices.