Raccord #1 : La B.O d'Interstellar par Hans Zimmer
Raccord #1 : La B.O d'Interstellar par Hans Zimmer

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mercredi 3 octobre 2018
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Raccord, l’émission qui revient sur les méthodes utilisées par les compositeurs de musique à l’image.

Chaque semaine, on revient sur la genèse et le développement d’une bande originale de film, série ou jeu vidéo.

Et cette semaine, on jette une oreille sur... Interstellar de Christopher Nolan

Hans Zimmer occupe une place prépondérante dans le paysage de la composition de musique à l’image.

Depuis une décennie, il a imposé avec force un style sombre, percutant. Cette tonalité va de pair avec une évolution de la tonalité narrative dans l’écriture cinématographique contemporaine.

Plutôt que de rappeler la centaine de scores[1] qu’il a écrits, venons-en au fait : si Hans Zimmer s’est imposé comme une référence incontestable dans le paysage cinématographique, c’est parce qu’il a su préserver une identité marquée tout en se renouvelant.

Une vision originale qui dépasse l’opposition musique orchestrale/musique électronique

 La musique éléctronique au coeur de la composition

Son passage par la musique électronique dans les années 70-80, au moment où celle-ci commence à s’imposer dans le cinéma (pensons par exemple à Carpenter), lui procure une approche originale en accord avec la technologie de son temps : très attentif aux évolutions des synthétiseurs, il apprend à les programmer lui-même pour obtenir de nouveaux sons, en explorant toutes les possibilités qu’offrent les modulaires (Moog, Prophet et autres Roland).

Son approche de ces instruments a une influence manifeste sur sa manière de concevoir la musique : la programmation de son et le mode d’enregistrement impliquent de penser conjointement la conception et la réalisation.

Dans le même temps se dégage une vision polyphonique[2] particulière.

Ce talent lui est très tôt reconnu et l’innovation qu’il apporte suscite l’intérêt de compositeurs comme Myers, qui souhaitent explorer d’autres manières de faire. Bien loin de représenter un concurrent, l’orchestre se marie très bien avec les textures électroniques, mais demande à être abordé différemment.

L'influence de la musique minimaliste

Son grand intérêt pour la musique minimaliste n’est certainement pas étranger à cette volonté d’une nouvelle conception de la musique orchestrale.

En effet, le minimalisme laisse de la place à l’expérimentation sonore (usage de différents instruments, textures et bruits) autant qu’harmonique (utilisation restreinte de notes, répétitions, etc.), ouvrant de nouvelles perspectives.

Zimmer a su en tirer une forme de syncrétisme musical qui implique une autre manière de travailler.

Le Remote Control Production comme laboratoire

En refusant de diviser le paysage musical, c’est toute une nouvelle approche qu’il développe : la division réalisateur/compositeur/musicien/technicien s’efface peu à peu pour donner lieu à un fonctionnement en réseau, dont l’aboutissement s’incarne dans le studio de Santa Monica, le Remote Control Production[3]. Ce studio fait l’objet de beaucoup de fantasmes et est accusé d’être tantôt « l’écurie de Zimmer », faisant travailler des petites mains pour le grand maître, tantôt un label sans valeur qui assure la mainmise de ceux qui y rentrent sur le marché des musiques à l’image. Or, c’est oublier la manière dont travail Hans Zimmer.

Une conception collaborative du travail de composition

Sa conception collaborative du travail s’incarne physiquement dans les studios : un grand espace divisé en une dizaine de studios, occupés pour certains par d’autres compositeurs, comme une ruche dont toutes les cellules communiqueraient. La collaboration entre Zimmer et ces compositeurs (parmi lesquels John Powell, Klaus Badelt, Harry Gregson-Williams, Steve Jablonsky, Mark Mancina ou encore Ramin Djawadi) a des conséquences importantes non seulement sur son propre travail, mais aussi sur le leur. C’est bien parce qu’il peut se décharger des questions de programmations, de prises de sons et de mixage qu’Hans Zimmer peut se permettre d’explorer d’avantage ; et ainsi créer tout un panel de sons spécifiques au film sur lequel il(s) travaille(nt). De la même manière, le Remote Control Production est une formidable école pour apprendre et faire ses armes. Un bon nombre des compositeurs qui sont passés par ce studio sont à l’origine de beaucoup des grands scores de ces dernières années.

Des conséquences sur le paysage musicale

Pourtant, si chaque compositeur a son style propre, le passage chez Zimmer a laissé des traces, et on observe depuis quelques années un alignement de beaucoup de compositions sur le style qu’il déploie. Que ce soit pour des raisons de direction artistique ou dans la perspective de dégager le succès que le compositeur a rencontré, on retrouve une certaine récurrence, notamment dans les bandes originales de séries.

Paradoxalement, c’est parce que certains principes de compositions d’Hans Zimmer se sont imposés dans le paysage de la musique de film que son approche de base (celle qui consiste à redéfinir pour chaque film une nouvelle palette de son, une mélodie, etc.) sort du lot et s’impose encore aujourd’hui.

Des principes de compositions simples

Au fil des années et de ses collaborations, Hans Zimmer a développé une méthode de composition propre.

Bien loin d’être un dispositif pour (re)produire rapidement une bande originale, cette méthode vise au contraire à en assurer la solidité et l’efficacité.

Une tonalité propre à l'univers du film

En premier lieu, il définit une palette de sons originale pour le film : hors de question pour lui de recourir à des sons préexistants. Fort de sa capacité à programmer des synthétiseurs, il cherche des sons et des textures nouvelles qui correspondent à l’univers du film.

De même, cette volonté se manifeste dans le sampling[4] de musiciens dont le jeu correspond au caractère qu’il veut donner à sa musique.

Un thème simple

Une fois cet univers sonore défini, l’écriture de la partition suit une méthode en partie héritée de son intérêt pour la musique minimaliste. Il définit en effet une mélodie courte et simple, qu’il développe tout au long du film. Cette tendance se manifeste surtout depuis sa première collaboration avec Christopher Nolan, et on la retrouve dans toutes les bandes originales de ses films, de Batman à Dunkirk.

Dans le cas d’Interstellar, cette mélodie comporte un nombre restreint de notes, que la répétition et la montée harmonique met en valeur[5].

Ce double mouvement (montée/descente harmonique et répétition) répond au principe assez classique de « question/réponse », qui suggère qu’une mélodie doit être construite avec deux motifs qui se répondent et se rejoignent sur une note ou un accord (en l’occurrence, la note répétitive).

Cf. Un exemple tiré d’Interstellar.

Bien loin de l’enfermer dans un type de composition unique, la souplesse de cette méthode lui permet de se renouveler autant de fois que sa créativité le permet. Son approche se révèle particulièrement efficace dans Interstellar, parce que la narration du film est au cœur de la musique.

Ainsi, la bande originale n’est pas posée sur l’image, mais se démarque et englobe celle-ci.

Pour aller plus loin,  voici un petit florilège de vidéos (en anglais) et d’articles très éclairants : https://www.academia.edu/19962987/Manufacturing_the_Epic_Score_Hans_Zimmer_and_the_Sounds_of_Significance

https://www.theatlantic.com/entertainment/archive/2014/11/why-interstellars-organ-needs-to-be-so-loud/382619/

https://pianistmusings.com/2018/09/07/film-music-interstellar/

[1] Partition pour musique de film

[2] La polyphonie est la combinaison de plusieurs parties mélodiques. La spécificité de la vision de Zimmer tient dans le mariage qu’il fait entre polyphonie et unisson (parties mélodiques identiques et superposées).

[3] En 1989, Hans Zimmer crée les studios Media Ventures, qui deviennent le Remote Control Productions en 2003.

[4] Enregistrement de musiciens ou de morceaux dans le but de les réutiliser ou de les modifier en studio

[5] La répétition et la montée harmonique sont décrites, écoute à l’appuie dans le podcast

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