La Bouquinerie dont vous êtes le héros : épisode 2
La Bouquinerie dont vous êtes le héros : épisode 2

Partager

Type
Autre
samedi 9 avril 2016
Télécharger

Toutes les deux semaines, La Bouquinerie propose à ses chers auditeurs – et brins d’auteurs – de laisser aller leur plume à leur guise… selon quelques contraintes, pour écrire pas à pas une nouvelle… Alban coordonne cette affaire et vous livre le premier épisode de la nouvelle dont vous êtes le héros.

Ce mardi 5 avril, c'est le texte de Etienne Marcel Jacques qui a été sélectionné ! Dans la continuité du premier texte de Mathieu, EMJ (on se permet des petits noms) a su reprendre à son compte l'humeur morose du personnage principal et lui a ajouté un cynisme et une noirceur qu'on ne lui connaissait pas... Un thème était imposé : "un attentat". C'est devant un poste de télévision que la scène va se dérouler, grinçante et dramatique. Ci dessous, retrouvez le texte de Mathieu, suivi de celui d'EMJ.

Intéressant. Marie n’était pas là. Marie n’était pas dans le salon. Marie n’était pas dans la salle de bain. Marie n’était pas dans la chambre. Marie n’était tout simplement pas là : ni dans les pièces à vivre, ni dans les pièces d’eau. Marie n’était pas en avance. Marie n’était pas en retard. D’ailleurs, Marie n’avait pas donné d’heure ou de rendez-vous. Le cas échéant, Marie n’avait pas pris la peine de laisser un petit mot d’explication sur la table d’entrée, ni sur la table du salon, ni sur la couverture du lit, et avait méticuleusement omis de laisser le moindre indice (dessin, rébus, pictogramme, nuage de lait ou de fumée), pour prévenir de son absence. Marie n’avait pas non plus daigné envoyer un SMS pour prévenir d’un départ urgent ou bien d’un retour imminent. En fait, pour tout dire, je restais équanime. Impossible qu’il y ait brouillage entre nous. Formidable. Marie n’avait rien du commun des mortels, absolument rien : Marie n’avait pas de travail (cursus honorum : Marie n’avait-elle pas démissionné de son poste sitôt promue ?); Marie n’avait pas de petit copain (ars amandi : Marie n’avait-elle pas décidé de mettre un terme à leur relation ?); et surtout, Marie n’avait pas d’appartement (un doute : Marie n’avait-elle pas subitement décidé de partir voyager : en Chine, au Japon, en Corse ou au Costa Rica, qu’en sais-je ?). J’appelais. En vain. Marie ne répondait pas. Marie n’était pas disponible. Marie n’était pas libre. Marie n’était pas là. Intéressant… Je me pris à douter. Marie n’avait-elle jamais existé ? Je crois bien qu’en réalité Marie n’existait pas. Un courant d’air traversa la pièce. «Eh bien, bon vent, Marie !», me dis-je, sans haine et sans colère. Après tout, à quoi bon poursuivre des fantômes, des spectres et des chimères, quand on est bel et bon vivant ?

***Il y a bien assez à faire avec toutes les pauvres âmes qui peuplent les rues de cette ville. A commencer par la mienne. A peine arrivé chez moi, la télécommande s'installe spontanément dans ma main droite, comme un chien qui viendrait me lécher la main sur le pas de la porte.

J'allume la télé en me demandant si le clochard de toute à l'heure était réel. L'odeur de pisse l'était indéniablement. TF1 : attentat de Bruxelles. Mince, Marie y était peut-être. France 24 : Attentat d'Islamabad. Aucune chance que Marie y soit, elle ne supporte ni les épices, ni le gluten. M6 : Attentat à la pudeur. Le décolleté d'une présentatrice tente de nous faire oublier la vacuité de ses propos. L'illusion perdure pendant trois longues secondes. BFM TV : Edition spéciale Attentats. Des experts en expertise commentent les commentaires et analyses des analystes. Leur flot est ininterrompu. Les mots défilent en bas de l'écran. Des déclarations s'impriment en lettres capitales. Le bombardement est lexical avant d'être létal. Ma télécommande vibre, je la caresse pour qu'elle se calme. D8 : Attentat contre l'intelligence. La télé parle de la télé à la télé devant des millions de téléspectateurs avachis devant leur télé. Les blagues sont potaches, les chroniqueurs cruels et leurs rires carnassiers résonnent jusque dans mon appartement. France 24 : Attentats partout, sécurité nulle part. Ma télécommande est repartie se coucher dans un coin et me tourne le dos. Les experts de France 24 moins jeunes mais mieux coiffés, produisent du contenu informationnel avec la rigueur et l'assiduité d'une machine à coudre. Ils me regardent. Je les regarde. Ils me parlent. Je ne leur parle pas. Ils insistent. Je cède. « Ecoutez, je ne vais pas y aller par quatre chemins, je crois que la situation est tragique ». « Excusez-moi, mais des études révèlent qu'en réalité la situation est plus catastrophique que tragique. Le contexte est difficile, il faut être précis sur les termes ». « Je ne suis pas d'accord, je crois que la situation est beaucoup plus tragique que catastrophique. Lisez les rapports des renseignements généraux, leurs conclusions sont claires ! ». « Excusez-moi messieurs, on me signale qu'un de nos envoyés spéciaux se trouve actuellement dans l’hôpital où ont été rapatriés les blessés des attentats de Bruxelles ». « Oui en effet, je me suis tiré une balle dans le bras afin de suivre au plus près l'évolution de la situation sur le terrain. Je me trouve actuellement avec Marie qui est dans un état critique. Marie, bonsoir, dites-nous, dans combien de temps pensez-vous mourir ? ». La télécommande s'est relevée, et à présent elle me grignote la cuisse. J'essaye de faire abstraction mais la sensation persiste. Je tente de l'attraper mais elle s'est cachée dans ma poche et a pris la forme de mon téléphone. Sur l'écran, des mots défilent. Un visage s'affiche. Il me regarde. Je le regarde. Le bombardement continue. 

On remercie Etienne Marc Jacques dont le nombre de prénoms successifs n'égale pas le talent littéraire. Maintenant, à vous d’écrire la suite ! Alban a fixé les prochaines contraintes :

Le texte d'EMJ est le terreau fertile de vos idées, les contraintes d’Alban sont là pour les triturer, n’hésitez pas à en jouer !

L'ensemble des textes composera une nouvelle qui sera montée en pièce de théâtre radiophonique à l'occasion du festival BROUILLAGE, en mai. Il ne reste plus que deux textes pour terminer l'histoire ! 

Envoyez nous tout ça par mail à labouquinerie@radiocampusparis.org ou à l’adresse postale :

La BouquinerieRadio Campus Parisc/o Maison des initiatives étudiantes50, rue des Tournelles75003 Paris

La Nouvelle Bouquinerie
Abonnez-vous au podcast