Museum side : Sophie Calle & Le MoMa à Paris
Museum side : Sophie Calle & Le MoMa à Paris

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dimanche 15 octobre 2017
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La deuxième saison de Museum side s'ouvre ce soir avec une équipe qui a changé. Agathe et Marion ont quitté le navire et nous accueillons Galadrielle, historienne de l'art et guide-conférencière. Comme l'année dernière, nous recevrons une fois par mois un commissaire d'exposition ou un artiste qui viendra nous expliquer comment il a conçu l'exposition dont il a la charge. En deuxième partie, nous évoquerons une autre exposition parisienne du moment en débattant toutes ensemble autour de la table. Sans oublier les trois chroniques habituelles de Charlotte, Marie-Hélène et Galadrielle ainsi que nos coups de cœur. Une belle saison en perspective!

Pour la première, ce soir, nous recevons Sonia Voss, commissaire de l'exposition de Sophie Calle Beau doublé Monsieur le marquis! au musée de la Chasse et de la Nature jusqu'au 11 février 2018. Après sa rétrospective au centre Pompidou en 2003, l'exposition sera la première présentation muséale en France de l'artiste à couvrir plusieurs décennies de sa création. Sophie Calle invite également Serena Carone à venir mêler son bestiaire artistique à ses œuvres conceptuelles. Depuis quelques années maintenant, Claude d'Anthenaise, directeur du musée de la Chasse et de la Nature, invite des artistes contemporains à s'emparer de ses espaces pour créer un univers fantasmagorique en résonance avec ses collections. On se souvient d'Abraham Poincheval enfermé pendant 13 jours dans un ours dans ce même musée. On l'a d'ailleurs retrouvé en train de couver des œufs la saison dernière au palais de Tokyo. L'exposition de Sophie Calle, dont on voit donc peu le travail, risque d'être forte en émotions. Elle mêle dans ses œuvres autobiographie et récit fictionnel, intercalant sans cesse quotidien et imaginaire. Elle s'était fait connaître au départ en pistant des anonymes croisés dans la rue puis, elle avait confié à un détective privé le soin de la suivre. Chasseuse puis proie, ce n'est pas pour rien qu'on la retrouve aujourd'hui au musée de la chasse avec des œuvres de sa jeunesse mais également des créations inédites. 

Au 2e étage, on retrouve des photos d'inconnus que l'artiste a pistés comme dans Suite vénitienne. Dans les vitrines, certains objets illustrent des aspects de sa vie : une assiette avec une banane et deux boules de glace figure le moment où un serveur lui a apporté ce dessert pour commencer son éducation sexuelle. Le journal intime de sa maman montre les quelques mots qu'elle y a inscrits avant de mourir. On se balade aussi dans le bestiaire de Sophie Calle et Serena Carone, des poulpes, des chauve-souris en céramique. Et surtout, on apprend à connaître son papa, Bob Calle, dans cette belle exposition en hommage au premier spectateur de son œuvre.

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Portrait de Sophie Calle © Yves Géant[/caption] [caption id="attachment_57778" align="alignnone" width="220"]

Portraits de délinquants fichés, utilisés comme cibles pour l'entraînement des policiers du commissariat de la ville de M., Etats-Unis. Sophie Calle “Dommages collatéraux. Cœur de cible”, 1990-2003 © Sophie Calle / ADAGP, Paris 2017 Courtesy Perrotin[/caption] [caption id="attachment_57779" align="aligncenter" width="172"]

Sous ce drap, il y a le nounours blanc. Au début il me faisait peur, mais je me suis approchée et j’ai fini par m’habituer. Il y a de la gentillesse dans son regard. On dirait une immense peluche. Tous les dix jours, avec une petite éponge, je lui nettoie les ongles et la bouche. C’est le seul que je caresse Ó Sous ce drap, il y a un grand ours blanc d’Alaska de plus de 2,70 mètres, imposant mais attachant, avec de grosses pattes et des griffes toujours actives, mais des bras accueillants dans lesquels on a envie de se lover. Sa force, c’est sa taille, mais c’est un animal comme un autre, plus ou moins vivant vu qu’il ne bouge plus, mais plus vivant qu’une commode Ó Dessous il y a un ours blanc naturalisé debout, fixé au sol, un poil plus jaune que blanc, des pattes griffues qui font penser à des bras, dressé sur ses membres postérieurs, légèrement penché, une posture très anthropomorphique. En plus il est souriant, et le sourire n’est pas le propre de la bête ! Il a même l’air de rire. Mais il ne fait pas rire, ce n’est pas un ours de cirque, on n’a pas envie de l’humilier. C’est une star. Tout le monde veut être photographié avec lui. Avec la mode du selfie, un visiteur sur deux pose à ses côtés. C’est le plus humain de nos animaux Ó Sous ce drap, il y a un objet sympathique, pas un animal. Je n’ai pas de sentiments pour les animaux empaillés. L’expression du visage, je n’ai pas le temps de l’observer. Je fais mon taf. On me dit de le bouger, je le bouge, on me dit de le démonter, je le démonte. Il est lourd et ses griffes blessent. Ici, ça nous arrive de nous faire agresser par des animaux morts Ó Sous ce drap, je pense que c’est un ours. Un animal qui, comme un humain, arrive à se tenir sur deux pattes, blanc il me semble, joli, mais je ne le croise jamais vu que je suis au service financier. Que vous dire de plus ? Il serait plutôt du genre masculin. Il vous regarde sans vous regarder, et nous, on le voit mais on ne le regarde pas. L’expression de la face d’un ours ? Je serais bien incapable de la décrire… Ó Un ours sympathique avec des petits yeux rieurs, un bon sourire. Il évoque la tendresse, la douceur, la sécurité. J’observe cette chose de 2,50 mètres et je revois mon doudou. Son poil est soyeux, fourni, mis à part quelques usures au niveau du nez. Posé à même le sol, impressionnant par sa taille mais pas l’air méchant. Bras tendus, il vous propose de venir vous blottir contre lui. Sous ce drap, son côté anthropomorphique est encore accentué. Comme il n’a pas une grande carrure, ça devient une silhouette de géant. Comme pour les êtres aimés, je le vois plus que je ne le regarde Ó Il est là, tellement là, tellement présent, tellement visible, qu’on ne le voit pas… Je ressens pour lui fascination et répulsion, je le crains sans le craindre. Il continue à faire peur mais il est fragile. Un ambassadeur pacifique du monde sauvage. Entre jouet et frousse, entre enfance et âge adulte. Une expression assez neutre, ni sympathique ni terrifiante. Les pattes sont griffues, mais les poils rassurants. Un animal qu’on imagine tout seul sur sa banquise. Aujourd’hui plus menacé que menaçant. Je préfère ne pas savoir comment il a été tué et je n’aime pas l’imaginer sous ce drap, c’est comme s’il mourait deux fois Ó Il était là avant moi, il m’attendait. Quand je suis arrivé en 1996, il était derrière une porte, dans la salle du colt de David Crockett. Il semble maintenant assez content d’être parmi les oiseaux, et comme il est très avenant, les visiteurs sont attirés par lui. Dans la nature il fait peur, ici la question ne se pose pas. Toute sorte de violence est édulcorée. C’est un vieil habitant du musée, celui avec lequel on se fait prendre en photo. Il établit un lien avec l’imaginaire enfantin. Quand je le contemple, je vois toujours un animal vivant, mais sous ce drap il meurt, il redevient un objet. C’est comme si on fermait les portes du musée, comme dans une maison abandonnée après les vacances, quand on recouvre les meubles et qu’on la met en attente… Ó Sous ce drap, il y a, je présume, un animal, puisqu’on est quand même dans un musée de la Chasse… Des narines apparaissent. On devine un museau, une tête allongée. Les proportions sont impressionnantes, j’imagine un animal dressé sur ses pattes arrière... Maintenant que vous me dites que c’est un ours blanc, je vois plutôt un fantôme, vu que les ours sont en train de disparaître avec la banquise qui fond. Mais un fantôme qui ne ferait pas peur Ó C’est un ours blanc d’Alaska, chassé en 1965 par un Américain qui l’a gardé deux ans avec lui avant de l’offrir au musée. Il est arrivé le 1er juillet 1967. Il fait 2,45 mètres et près de quatre cents kilos. L’ours sait qu’il n’a pas de prédateur, il chasse seulement quand il a faim, d’où une sûreté de soi. Je retrouve cette sagesse dans son regard. Il domine. C’est lui qui nous reçoit. Je l’ai appelé Victor, comme ça, au hasard, hop, Victor, vingt ans que je le connais, le seul auquel je parle Ó Sous ce drap, c’est l’ours. Inutile de lui donner un nom. Comme dans les familles aristocratiques quand il n’y a qu’une seule fille et qu’on l’appelle Mademoiselle sans préciser le prénom Ó Je l’appelle l’ours blanc, point. C’est le personnage principal du musée qui est là-dessous. Les gens parlent de lui plus que des autres. Il prend beaucoup de place dans tous les sens du terme. Il est sous ma protection et sa popularité me donne de l’importance. Chez nous, on recouvre les morts avec un drap blanc… Si notre ours nous quittait, ce serait une perte douloureuse Ó Sous ce drap, il y a l’âme du musée. Un doudou plutôt qu’une bête sauvage. Un ours, on en a tous eu un sur son lit. C’est le confident des moments difficiles. Dans mon pays, les femmes portent, le jour du mariage, un voile blanc qui les cache intégralement. Alors, il me fait penser à une mariée. Un peu grande… Ó C’est notre mascotte. Sous ce drap, il a un côté monastique. Pudeur, blancheur et recouvrement. Le fantôme du musée. Sophie Calle “L’ours”, diptyque 2017 © Sophie Calle / ADAGP[/caption] [caption id="attachment_57790" align="alignnone" width="200"]

Fabio l’a embrassé. Camille lui a murmuré à l’oreille sa chanson She Was. Florence l’a caressé. Anne l’a endormi. Il est mort. Maurice a creusé un trou dans le jardin. J’ai installé Souris dans un petit cercueil en bois blanc qui servait de modèle aux représentants de commerce avant l’usage de la photographie. Trop petit. Ses pattes de derrière dépassaient. Yves l’a enterré. Serena a planté des jonquilles autour de la tombe. J’ai reçu un message sur mon téléphone : Sophie, je suis désolé pour ton chat. Peux-tu dire à Camille de rapporter des légumes notamment poireaux et navets si elle en trouve? Je t’embrasse Sophie Calle “Souris”, 2017 © Sophie Calle / ADAGP, Paris 2017 Courtesy Perrotin[/caption] [caption id="attachment_57791" align="alignnone" width="300"]

Des accès ont été aménagés au-dessus et au-dessous des autoroutes pour permettre aux animaux de les franchir. Des caméras à déclenchement automatique contrôlent leurs migrations. Sophie Calle “Liberté surveillée”, 2014 © Sophie Calle / ADAGP, Paris 2017 Courtesy Perrotin[/caption] [caption id="attachment_57794" align="alignnone" width="205"]

Serena Carone, Lièvre chasseur, 2016, copyright, Béatrice Hatala[/caption] [caption id="attachment_57795" align="alignnone" width="300"]

Serena Carone, Mon amour, 2005, copyright Béatrice Hatala[/caption]

En deuxième partie, nous parlerons de l'exposition Etre moderne : le MoMa à Paris à la Fondation Louis Vuitton jusqu'au 5 mars 2018. Organisée conjointement par les deux musées, elle réunit un ensemble représentatif d’œuvres dont le MoMa a fait l'acquisition depuis sa création en 1929. Musée mythique dont certaines expositions ont ouvert la voie des avant-gardes, le MoMa ouvre ses collections, les plus belles du monde, au public parisien. La Fondation continue à exposer les chefs d'oeuvre du monde entier. Nous n'avions pour l'instant jamais abordé les énormes manifestations de la fondation depuis sa création. Il est temps d'y jeter un œil.  Comment est construit cette exposition? Comment pouvez-vous l'aborder et la comprendre? On décryptera pour vous ses secrets, ses failles et ses atouts grâce à l'éclairage de Quentin Bajac, conservateur au MoMa et concepteur de l'exposition.

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Paul_Cézanne_Le_Baigneur_Vers_1885_Huile_sur_toile_127__968_cm_The_Museum_of_Modern_Art_New_York_Collection_Lillie_P_Bliss_1934[/caption] [caption id="attachment_57783" align="alignnone" width="300"]

Cindy Sherman, Untitled film Still #21, 1978, épreuve gélatino-argentique, 19,1 x 24,1 cm, The Museum of Modern Art, New York, Horace W.Goldsmith Fund par l'intermédiaire de Robert B. Menschel, 1995, Courtesy of the artist and Metro Pictures, New York, copyright 2017 Cindy Sherman[/caption] [caption id="attachment_57784" align="alignnone" width="253"]

Bruce Nauman, Human/Need/ Desire (Humain/Besoin/Désir), 1983, Tubes de néon et fils électriques, cadres de suspension en tube de verre, The Museum of Modern Art, New York, Don d'Emily et Jerry Spiegel, 1991, copyright Adagp, Paris, 2017[/caption] [caption id="attachment_57786" align="alignnone" width="169"]

Constantin_Brancusi_Oiseau_dans_lespace_1928_Bronze_1372__216__165_cm_The_Museum_of_Modern_Art_New_York_Don_anonyme_1934 Copyright Succession Brancusi - All rights reserved (Adagp) 2017[/caption] [caption id="attachment_57787" align="alignnone" width="297"]

Roy_Lichtenstein_Drowning_Girl_Fille_qui_se_noie_1963, Huile et peinture acrylique sur toile, The Museum of Modern Art, New York, Philip Johnson Fund (par échange) et don de M. et Mame Bagley Wright, 1971, copyright Estate of Roy Lichtenstein, New York/ Adagp Paris 2017[/caption]

Les chroniques :

Marie-Hélène : "Traverser" de Raymond Depardon à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu'au 17 décembre 2017

Charlotte : "Maria By Callas" à la Seine musicale jusqu'au 14 décembre 2017

Les coups de cœur :

Marie-Hélène : "Continua Sphères Ensemble" au CentQuatre jusqu'au 19 novembre 2017

Charlotte : "Montmartre, décor de cinéma" au musée de Montmartre jusqu'au 14 janvier 2018

Florence : "Le jardin secret des Hansen. La collection Ordrupgaard" au musée Jacquemart-André jusqu'au 22 janvier 2018

Présentation : Florence Dauly // Chroniqueuses : Marie-Hélène Gallay, Charlotte Landru-Chandès et Galadrielle Lesage// Réalisation : Louis-Julien Pannetier.

Museum Side
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