Récréation Sonore : Vivre dans les brèches
Récréation Sonore : Vivre dans les brèches

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Création sonore
Autre
dimanche 7 avril 2019
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Vivre dans les brèches

L'équipe de Récréation Sonore vous présente aujourd’hui une émission autour  de deux documentaires qui convoquent chacun des résonances singulières avec l’actualité.

Le premier fait intimement écho aux commémorations des 25 ans du génocide au Rwanda. C’est une rediffusion d’un documentaire signé Abi McNeil. Le second vous est proposé par Fanny Dujardin et a pour sujet la vie d’un squat, à Angers, en ce début de mois d’avril où la trêve hivernale s’achève et où les habitants de ce genre de lieux précaires sont menacés d’expulsion.

15 000 photos de Abi McNeil

Photo : Aimé

"J’ai interviewé Aimé pour un épisode de Radio Campus Paris sur le thème de la guerre et de la paix. Je n’avais jamais parlé avec lui du génocide rwandais auparavant. C’est un ami, mais nous nous connaissons depuis peu. Nous avons discuté en français, et ça m’a prit quelque temps pour digérer la conversation. Sur le coup je n’avais pas ressenti beaucoup d’émotion. C’est seulement en rentrant chez moi, sur mon vélo, que j’ai réalisé quelle histoire je voulais raconter. Ce n’était pas celle d’Aimé perdant son père, ce n’était pas des accusations ou de nouvelles révélations au sujet de la vie au Rwanda ou du génocide. C’était l’histoire du « vide », de toutes les brèches, des choses qu’il ne connaîtrait jamais, des choses dont il ne se souvient pas. Quand je lui ai demandé si je pouvais voir une photo de son père, il a fouillé partout pendant vingt minutes en disant qu’il cherchait un album dans lequel il était sûr de pouvoir me montrer quelque chose. Je surveillais l’heure du coin de l’oeil car nous n’avions pas beaucoup de temps, mais assez vite, j’ai compris qu’en fait il n’avait rien à me montrer. Et qu’il ne savait pas comment me le dire. Il a fini par trouver une photo sur son téléphone – une photo récente de la maison où il avait vécu avec sa mère, son père, et trois frères et sœurs à Kigali. On aurait dit qu’il redécouvrait cette image. Dessus, on ne peut pas vraiment voir la maison, elle est cachée derrière. Tout ce qu’on peut voir c’est une allée bétonnée et un portail en métal encadré par de petits murets en brique. Aimé s’attarde sur chaque détail, il me décrit méticuleusement toutes les couleurs et les textures de l’image. Il évoque le souvenir des enfants dans le village qui utilisaient le muret de brique comme un toboggan. C’est comme si l’image devenait la clef qui ouvre le coffre de ses souvenirs. À ce moment précis, devant cette simple photo, Aimé me révélait que toute sa vie il avait regretté son enfance perdue et voulu retrouver son passé. En levant les yeux, je réalisais que sa maison était remplie de l’expression de ce désir qui passait par les images – des photos du Rwanda, des gens ou des paysages, étaient collées dans tout l’appartement. Il venait d’ailleurs de s’inscrire à des cours de photo et remplissait les étagères avec des albums de sa petite fille, qui embrassait la vie, dormait, baillait, marchait à quatre pattes, ou mangeait. Aimé documentait sa vie pour que faire durer ces souvenirs-là et peut-être, pour enterrer l’horreur de son passé."

Texte : Abi McNeil, traduction : Fanny Dujardin

Version originale du texte :

I interviewed Aimé for a RCP episode themed on war and peace. I’d never spoken to him before about the rwandan genocide, he’s a friend but i’ve only known him for a short period. We spoke in french so it took me longer to digest – at the time of listening I wasn’t really feeling any strong emotions. It wasn’t til I was cycling home that I realised the story I wanted to tell. It wasn’t him losing his father, or retribution, or new revelations about life or genocide. It was a story about « le vide », all the gaps, the things he’ll never know, the things he doesn’t remember. When I asked Aimé for photo of his childhood he fumbled around for 20 minutes saying he was looking for an album and that he was sure he had something to show me. I was looking at the clock because we didn’t have much time and it soon became clear that he didn’t actually have anything to show me. And he didn’t know how to tell me. He finished by finding a photo on his phone - a recent picture of the front of the house where he lived with his mum, dad and 3 siblings in Kigali. He seemed to be rediscovering the picture after a long time away from it. You can’t actually see the house – it’s hidden behind the fence - all you can see in the picture is a concrete driveway, and a metal gate with short brick borders on either side of it. Aimé lingers on every single detail, meticulously describing all the colors and textures in the picture – he evokes a memory of kids in the village using the brick border as a kind of slippery slide. It’s as though this picture is the key to opening up his treasure chest of memories. In this moment in front of a single photo, Aimé revealed a lifetime of yearning for a lost childhood and a desire to revisit this past. Looking around his home, I realised that this yearning through pictures was all around me - photographs of Rwandan landscapes and people hung on every wall. He’d recently enrolled in photography classes and was filling up his shelves with albums of his baby daughter embracing life, sleeping, yawning, crawling, eating. Aimé is documenting to make his memories last and perhaps bury the horror of the past.

La Grande Ourse, de Fanny Dujardin

Photo : Lali

À Angers, le squat de la Grande Ourse, est menacé d’expulsion suite à la fin de la trêve hivernale. Il héberge à ce jour des étudiants ou travailleurs précaires, des mineurs isolées,  des demandeurs d’asile. C’est à la fois un lieu de vie en communauté, où des personnes en détresses retrouvent un peu de solidarité, et un espace où s’organise la lutte politique pour le droit au logement, et pour créer des modes de vie autonomes. Ce documentaire de 38mn dresse le portrait du lieu et de ses habitants, dans une tentative de saisir les réalités multiples qui s’y côtoient, notamment le clivage entre l’engagement politique des jeunes militants, et le recours par défaut à un mode d’habitat précaire, parfois difficile à vivre pour d’autres.

Présentation de la Grande Ourse par elles et eux-mêmes, sur leur page facebook :

Ouverte depuis le 3 septembre dernier, La Grande Ourse naît de trois constats. Le premier se situe au niveau national : il s’agissait de réagir au projet de loi ELAN. Les deux autres se jouent au niveau local, avec en premier lieu la crise de l’hébergement d’urgence des personnes sans-abris sur la ville d’Angers : à la halte de nuit du 115, ce sont chaque soir 20 à 30 personnes laissées sans solutions. Pour les personnes en demande d’asile, comme pour les sdf nés en France : situation d’accueil déplorable, droits bafoués pour une très large catégorie d’invidu.e.s (mineur.e.s, familles avec parfois enfants en bas âge, ou femmes enceintes) et multiples évictions des squats habitatifs – où ces personnes peuvent se réfugier quand il n’y a plus de solution. Le second versant de cette crise locale concerne la question du logement des étudiant.e.s. Face à l’inflation de l’immobilier, le nombre de jeunes qui n’ont pas trouvé d’hébergements en ce début d’année a simplement explosé.

Face à cela, la Grande Ourse a ouvert ses portes avec pour objectif de palier au mieux ces crises en proposant en son sein, et avec la force de simples bénévoles, des solutions d’hébergement à des individu.e.s en situation de grande vulnérabilité – familles, femmes seules, sdf ou étudiant.e.s, subissant ces décisions politiques. Elle a fait son nid dans l’ancienne CPAM du quartier de la Doutre, laissée à l’abandon depuis plusieurs années, et que le propriétaire actuel souhaite vendre pour la raser et construire à sa place un parking. Alors que le compromis de vente n’est pas encore signé, que les dates de démolition restent floues, et face à l’urgence que pose cette crise du logement et de l’hébergement, il devenait plus que légitime l’investissement immédiat du lieu, même sans l’accord préalable du propriétaire ou des autorités.

Ce documentaire a été projeté vendredi 29 mars à la Grande Ourse dans le cadre du festival « Etat des lieux ». Merci encore à tou·tes les habitant·es pour leur accueil et leur participation.

Vous retrouverez également ce documentaire sur soundcloud .

Si vous souhaitez plus d'informations sur les squats, nous vous invitons à découvrir le travail de l'anthropologue Florence Bouillon, dans cet article du Monde Diplômatique, ou dans la deuxième partie de cette émission diffusée sur France Culture.

Pour d'autres informations sur la loi ELAN et la lutte pour le droit au logement, vous pouvez visiter le site du DAL.

Sinon, la semaine prochaine se tiendra la 11ème édition du FIDÉ, festival international du documentaire émergeant, qui projette des films de jeunes réalisateurs et réalisatrices. 

Au programme, projections, débats, concerts, bar, et repas cuisinés avec amour par l’équipe. Vous pourrez y voir des films fragiles et sensibles, audacieux ou troublants et toujours pleins de fraîcheurs. Le FIDÉ aura lieu du mercredi 10 au dimanche 14 avril au Shakirail, 72 rue Riquet dans le 18ème arrondissement de Paris. Plusieurs membres de l’équipe y seront, nous espérons vous y croiser !*

Liens vers le FIDÉ, Festival international de Documentaire Emergeant : - Page Facebook : https://www.facebook.com/fide.festival/ - Site : http://www.fide.festivaldoc.com/

https://vimeo.com/326874881

Musique du générique : Niklas Paschburg - Tuur mang Welten

Cette émission  a été réalisée par Fanny Dujardin assistée dans la mise en ligne par Vanessa Vudo

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