Pièces Détachées : De l'art d'être
Pièces Détachées : De l'art d'être

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Culture
lundi 2 mai 2016
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Ce lundi 02 mai, en raison du festival "Brouillage" dédié à la création radiophonique et créé par Radio Campus Paris il y a trois ans, nous avons décidé de préparer pour la 1ère fois une émission un peu spéciale, puisque disponible uniquement en ligne. Voilà maintenant un moment que vous entendez nos voix sur les ondes du 93.9FM tous les lundis soirs, de 20h à 21h. Découvrez dès à présent notre plume.  

Nous vous proposons donc de lire quatre chroniques de spectacles présentés ces dernières semaines à Paris :

Lorsqu'on connaît un peu l'auteur, qui a notamment reçu le Molière du théâtre privé en 2006 pour la pièce Moi aussi, je suis Catherine Deneuve, on se doute fortement que la pièce aura une consonance musicale. Car en plus d'être metteur en scène, auteur et comédien, Pierre Notte est également compositeur. Et c'est la combinaison de ces quatre casquettes qui fait la particularité et la poésie de ses spectacles : la plupart de ses pièces sont un habile mélange de textes et de musiques. Cependant, dans cette pièce il pousse sa réflexion encore plus loin, et décide d'écrire un texte chanté de bout à bout.

La pièce raconte la cohabitation de trois femmes, forcées à vivre ensemble après que le mur qui sépare leur appartement se soit effondré dans un incendie. Nous avons donc d'un côté Macha et Nina : Macha est la grande sœur et tente tant bien que mal de subvenir aux besoins de la cadette qui n'a seulement que 16 ans. Elles semblent avoir été forcées à grandir sans leurs parents. De l'autre côté, nous avons Rose, également appelée la femme assise. En effet depuis que son appartement a pris feu, celle-ci s'est résignée à ne plus bouger de sa chaise. Son appartement reste donc ravagé par les flammes ; elle est celle qui n'a plus rien.

Une quatrième femme interviendra au milieu de la pièce : il s'agira de la femme du forain. Macha, forcée à se prostituer pour faire rentrer de l'argent, aura pour client un certain forain, ce qui n'est pas tout à fait du goût de sa femme.

La scénographie est assez simple, deux espaces, deux appartements distincts délimités par du gaffeur blanc au sol qui fera parti intégrante du décor. Une voix off aidera le spectateur, avec humour, à imaginer ce qui n'est pas ou ce qui est simplement représenté. D'un côté, l'appartement de Rose avec des meubles brûlés, et de l'autre celui des deux sœurs, avec une simple table et une commode. Au fond à cour, la pianiste accompagnera en live les comédiennes.

C'est dans ce cadre que nous sauterons à pieds joints dans l'univers de Pierre Notte, un univers plein de poésie, qui sait donner de l'importance aux petites choses, aux petits bonheurs, et tout cela sur fond de drame. Dans Sur les cendres en avant, tout a de l'importance, chaque mot est entendu et l'on se délecte de voir ces femmes se débattre dans leurs vies pour survivre ensemble, chacune avec leur solitude. Un texte touchant, plein d'espoir et à l'humour grinçant.

Le texte chanté bout à bout est d'une efficacité incroyable, il ne s'agit pas d'un cabaret, ni d'une comédie musicale. Pierre Notte pousse la réflexion encore plus loin puisqu’on a affaire à un véritable jeu chanté qui est d'une sincérité étonnante. On pourrait même dire qu'il créait une nouvelle forme théâtrale. Les quatre comédiennes déploient une palette de jeu surprenante, et on salue leurs performances vocales, pour certaines sans répits. C'est également le cas de la pianiste qui va jouer pendant 1h25 sans interruption et surtout sans partitions.

Un spectacle poétique qui s’apparente à de la dentelle, et qui semble cacher, sous ses airs de simplicité, un travail titanesque.

On sort de la salle du Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées avec le sourire aux lèvres. Une vraie bouffée d'air fraîche...

Chronique proposée par Tessa Robinson

L'histoire est quelque peu surprenante puisqu'on retrouve certains personnages des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, et de Quartet d’Heiner Müller en plein XXIème siècle: Cécile Volanges, Monsieur Volanges, Madame Merteuil et Monsieur Talzberg. Fini le temps où il était question de savoir qui couche avec qui, de comploter contre ses rivaux mondains (on remarquera d’ailleurs qu’ils ont perdu les particules de leurs noms), etc. Les quatre personnages font face aux problématiques de notre époque, et notamment aux problèmes d'ordre économique.

Car il est question de l'avenir de l'usine de sous-traitance automobile, Erwin Motor, qui risque de devoir délocaliser ses activités en Pologne. Erwin Motor est une entreprise familiale qui appartient à Madame Merteuil, une PDG obnubilée par les chiffres, la performance, la productivité. Cécile Volanges travaille dans cette usine sur une chaîne d'assemblage, sous la supervision de Monsieur Talzberg, qui oscille entre bienveillance à l'égard de ses employées, pression hiérarchique, et pulsions sexuelles irrépressibles vis-à-vis de ces mêmes employées, liées en partie au pouvoir que lui procure sa position. Et puis il y a un personnage (un peu) extérieur à l'univers de l'usine, Monsieur Volanges, le mari de Cécile. Propriétaire d'un garage, il passe ses soirées devant la TV à boire de la bière, à manger des carottes râpées, à pisser dedans, et à se montrer particulièrement violent envers Cécile car il ne comprend pas son envie de travailler pour Erwin Motor, et même plus généralement son besoin de travailler, l'accomplissement et la satisfaction qu'elle trouve dans cet acte.

J’ai trouvé que le texte soulève de manière pertinente, sans détours, en pleine face, les problématiques liées au monde du travail, au contexte économique libéral, et à ce qui nous anime par rapport à tout cela, aux questions qu’on se pose vraiment, celles qu’on évite de se poser et qui, pourtant, mériterait qu’on le fasse. Tout au long des dialogues, on sent une vive tension, et aussi de l’oppression.

La scénographie participe également à cette ambiance générale : à cour, un tas de gravier mélangé à des cannettes de bière où se trouvent aussi deux chaises, ainsi qu’une TV dont l’écran est tourné face aux comédiens, et qui fait office de caméra pour saisir au plus près les expressions des personnages, tous brisés à des degrés différents par notre système économique libéral incarné par l’usine Erwin Motor. Et donc, au lointain, nous avons un écran de projection qui nous permet de voir ce qui est filmé, d’autant plus que des caméras sont placées à d’autres endroits : côté jardin, au niveau de ce qui figure la chaîne d’assemblage sur laquelle travaille Cécile Volanges, et aussi une caméra au niveau d’un miroir placé au-dessus d’un lavabo côté jardin toujours. J’ai tout particulièrement aimé l’univers de la chaîne d’assemblage qui prend vraiment vie avec assez peu de moyens finalement : un dispositif de supports réfléchissant faisant office de miroirs, une table sur laquelle s’exécute Cécile par des mouvements saccadés sur le rythme du bruit des machines, la lumière s’allumant et s’éteignant à chacun de ses mouvements, en rythme avec le bruit des machines. D’une manière générale, c’est l’ensemble de la proposition qui m’a convaincue, le texte de Magali Mougel tout particulièrement : outre la qualité de la réflexion dont je parlais, il y a aussi plusieurs procédés d’écriture auxquels elle fait appel, dont la répétition qui, je trouve, sert vraiment le jeu, permettant aux comédiens d’essayer plusieurs états pour leurs personnages à travers une même pensée. Une réserve néanmoins, et qui tient pourtant à l’originalité - du moins sur le papier - du spectacle : l’incursion des personnages des Liaisons dangereuses et de Quartet. Je n’ai pas compris pourquoi avoir choisi ces personnages, ce que cela apporte vraiment. L’effet aurait été le même s’il s’était agi de personnages crées spécialement pour la pièce. Je trouve qu’il y avait là quelque chose à exploiter, et notamment l’originalité initiale de ces personnages ; car je n’ai pas du tout eu le sentiment de retrouver l’essence des personnages originaux. Je n’ai donc pas compris ce choix : pourquoi choisir ces personnages qui ont existés précédemment si ce n’est pas pour les faire revivre tels qu’ils sont fondamentalement, et tels qu’ils seront toujours, même si c’est à une autre époque ?

Chronique proposée par Thomas Sila

Juste avant que la représentation commence, et que j’attendais d’être replacé dans l’orchestre, Chloé m’appelle pour me dire qu’elle est devant le Théâtre de la Ville, place du Châtelet alors que le spectacle avait lieu au Théâtre de la Ville, rue des Abbesses (soyez donc vigilants lorsque vous allez voir un spectacle au Théâtre de la Ville). Je dois avouer une chose à propos de cet appel, c’est que je n’ai pas été honnête. Chloé a senti que j’étais « chafouin », pour reprendre ses termes, ce à quoi j’ai répondu par la négative. En fait, je l’étais. Je l’étais parce que son appel m’empêchait de profiter pleinement de la vue de la scénographie que je pouvais apercevoir et qui me donnait simplement envie de raccrocher et de contempler pleinement le personnage d’Und – qui est donc un prénom et non pas la conjonction de coordination allemande qui se traduit par « et » en français -  placée au centre de la scène, vêtue d’une longue robe rouge évasée au sol donnant l’impression qu’Und mesure près de 2m50 - alors que bien évidemment, son interprète, Natalie Dessay, ne mesure pas 2m50, loin de là ; elle est donc placée sur un tabouret, qu’on découvrira plus tard. Et puis il y a, placées au niveau du cintre, entourant Natalie Dessay sans qu’elle soit placée directement en-dessous, de nombreuses lames de glace. De la vraie glace qui fond au fur et à mesure, et qui finit par s’écraser au sol. Ce n’est d’ailleurs que lorsque le premier bloc est tombé que j’ai réalisé que c’était de la vraie glace, et non pas des lames de verre sur lesquelles on a fait glisser de l’eau. Car le plateau est intégralement recouvert d’une bâche pour recueillir l’eau qui s’écoule donc constamment au cours de la représentation, et qui participe à son ambiance sonore.

C’est donc au milieu de ces lames de glace qu’Und attend. Elle attend un homme, qui s’avère être en retard, mais qui finit tout de même par arriver, et sonner à la porte. Mais souhaitant lui faire payer son retard, Und ordonne à sa domestique – qu’on ne verra, ni n’entendra jamais – de ne pas ouvrir. Débute alors l’affrontement entre Und et la sonnette. C’est un vrai dialogue qui s’engage entre les deux. Car Und semble capable d’interpréter l’intention de l’homme derrière chacun de ces coups de sonnette : un coup d’excuse, un coup d’amour, un coup de colère, un coup de jalousie, etc. Sans jamais céder. Et puis entre deux coups de sonnette, Und nous parle : des sentiments que traduisent chacun des coups de sonnette, de cet homme qu’elle attendait et de ses probables intentions, d’elle aussi : qu’elle est une aristocrate, mais qu’elle est une juive. Et il semblerait d’ailleurs que cela pose problème à l’homme qui sonne à la porte, et qui se fait, à certains moments, de plus en plus menaçant, oubliant la sonnette pour casser les vitres de l’appartement ou pour essayer de défoncer la porte. Je vous dis pas le sursaut que la salle a fait lorsque ces bruits ont retenti - moi y compris, ce qui m’a d’ailleurs empêché de m’amuser de la réaction de ma voisine de devant qui a fait un bond de 3m – parce qu’on ne s’y attend absolument pas, on a fini par tellement s’habituer à cette sonnette, alors qu’on voit très bien d’où provient la musique puisque le compositeur et interprète Alexandre Meyer est présent sur le plateau à l’avant-scène côté cour, avec ses instruments et ses consoles électroniques. Au bout du compte, on se retrouve, nous spectateurs, à attendre comme le personnage d’Und, à avoir peur comme elle des intentions réelles de cet homme. Outre les coups de sonnette, l’échange entre les deux personnages se fait également par envoi et réception d’objets via des plateaux en argent qui montent et qui descendent du cintre entre chacune des lames de glace, suffisamment proches de l’interprète pour qu’elle ne quitte jamais son tabouret. Et c’est en lisant le dossier de presse et en me remémorant la série des objets ainsi échangés que j’ai compris, qu’en fait, ce qui nous était donné à voir, c’était leur vie à deux, du début à la fin.

Et la fin justement : rien que pour elle, je vous conseille vraiment d’aller voir ce très beau spectacle qui est porté de la meilleure manière qui soit par la chanteuse lyrique Natalie Dessay qui fait donc là ses premiers pas au théâtre. Une sacrée performance, une scénographie parmi les plus vivantes et vibrantes que j’ai vue : aucun doute, courrez-y, c’est une belle surprise !

Chronique proposée par Thomas Sila

Pierre. Ciseaux. Papier.....un titre qui n'est pas sans nous rappeler ce fameux jeu basé sur le hasard, dont le but consiste à faire une bataille de mains où les joueurs doivent choisir simultanément entre la pierre, la feuille ou le ciseaux....ce qui va nous amener à penser que cette pièce va être sûrement portée sur la vacuité de la vie ou son côté aléatoire....et on ne se trompe effectivement pas.... Il est question de trois personnages qui nous font front dès le début. Il y a la femme, l'homme et le jeune homme. Chacun décrira les deux autres, un par un, par des monologues qui seront rythmés par de courtes phrases d'un tel ou un tel, ou même par des enregistrements vocaux. On a affaire à une description de souvenirs, à la découverte de tranches de vie, de caractères ; on comprend comment les choix de chacun interfèrent sur la construction de soi, tout en distillant une critique de la société, des idées conçues, etc.

Pour pousser cette critique, le metteur en scène, Laurent Brethome, a décidé de prendre le parti de nous présenter ce texte sous forme de jeu télévisé ou de télé-réalité. Les trois protagonistes sont donc assis sur de grands fauteuils métalliques face au public. Entre chaque scène, nous avons droit au fameux jingle télé qui vous rend un petit peu zinzin... Et dès qu'un personnage prend la parole, il est éclairé par un halo de lumière autour de son fauteuil.

Je dois avouer que quand la pièce a commencé, j'étais assez intriguée de voir comment elle allait évoluer ; comment ces trois personnages assis devant nous pendant les ¾ de la pièce allaient nous tenir en haleine ; comment l'auteur et le metteur en scène allaient exploiter cette allégorie du jeu «pierre, feuille, ciseau », surtout que dès le début, on est happés par le jeu des trois comédiens qui est vraiment de qualité. Mais voilà : j'ai été très rapidement déçue puisque, hélas, ce système de face public ne présente aucunes évolutions, que ce soit au niveau de la mise en scène, mais également au niveau de l'évolution des personnages. Je me suis donc lassée assez rapidement et ai eu du mal à entendre ce texte, ce qui, je trouve, est assez dommage, puisque en plus il semble être assez riche. En tout cas, il aborde une multitude de thèmes susceptibles de nous parler, et je me demande donc pourquoi je n'ai pas réussi à rentrer dans cette pièce, dans cet univers. Je me dis que c'est peut être la trop grande simplicité de la mise en scène et la trop grande diversité, et donc complexité, de cette écriture qui m'a rendue un peu hermétique. Finalement, à cause de cette trop grande multitude de thèmes, on s'y perd et on n'arrive plus à distinguer le réel sujet de la pièce. Seulement sur la fin, les personnages se lèvent et nous offrent des situations plus concrètes qui seraient peut être plus à même de nous faire comprendre les méandres de ce texte. Mais voilà, c'était un peu trop tard pour moi, ils m'avaient déjà perdu.

Chronique proposée par Tessa Robinson

Pièces détachées
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